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des quartiers. C’est une région merveilleusement appropriée aux retraites champêtres des personnes riches et qui veulent même au sein du repos un reflet, une empreinte des élégances de la vie sociale. Là on peut aisément installer non plus les petits nids humains et les gentilles tanières villageoises du Nord-Hollande, mais de grandes habitations précédées de nobles avenues, entourées de larges parcs. Les arbres commencent à abonder, et forment de belles rangées qui, partageant la campagne, donnent à l’œil la double sensation de l’étendue et du repos. Quel accord il existe en réalité entre la nature et l’homme ! La Hollande proprement dite est un pays démocratique, et démocratique aussi en est la nature. La province d’Utrecht est une province de tradition plus aristocratique, la nature y porte une livrée de grandeur. Ineffaçables sont vraiment les marques que l’homme imprime à tout ce qui l’entoure ; Utrecht en est un exemple. Elle fut autrefois le siège d’une cour ecclésiastique : voilà qui remonte bien haut, n’est-ce pas ? et il semble que, depuis les jours du prince-évêque, la ville aurait eu le temps de se défaire de l’empreinte qu’un tel séjour avait pu lui donner. Point du tout ; en changeant de maître et de doctrine, elle n’a pas changé d’âme : après plus de trois cents ans et sous l’empire du protestantisme, Utrecht reste essentiellement marquée d’un cachet ecclésiastique. D’aspect piétiste, de vie calme, Utrecht, à l’inverse des autres villes de Hollande, parle de richesse et ne parle pas de travail. Le vacarme assourdissant et joyeux, le mouvement affairé des villes où les habitans poussent à tour de bras la roue pesante de la fortune ne trouble pas ses rues larges et silencieuses, et cependant la puissance de la fortune se fait partout sentir, sinon dans son activité, au moins dans ses résultats. Pendant mon séjour à Utrecht, je ne pus m’empêcher de songer à la pratique Marthe de l’Évangile qui se serait décidée au repos, mais qui, même au sein du loisir, garderait le souvenir de sa diligence d’autrefois.

Utrecht n’est pas seulement la ville protestante par excellence de la Hollande, elle est le centre véritable de tout ce que ce petit pays contient d’influences religieuses de tout genre. La religion, de quelque nom qu’elle s’appelle, y est la seule souveraine, au moins en apparence. Ce qui est non une apparence, mais une touchante réalité, c’est que le passé y parle encore très haut et par les voix les plus diverses. Il est vraiment curieux d’entendre ces voix, si rapprochées les unes des autres, prononcer toutes à la fois le nom de Dieu dans une sorte de cacophonie pieuse. L’université protestante s’est installée sur les dépendances de la cathédrale ; mais on ne saurait trouver un lieu où respire d’une manière plus aimable la mélancolie ascétique du moyen âge que son cloître, encore élégant