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préoccupation de reproduire la vie en mouvement. La ressemblance intrinsèque, permanente, du modèle au repos que nous avons admirée chez Holbein ne suffit point à Rembrandt ; ce qu’il poursuit avant tout, c’est cette ressemblance fugitive qui apparaît et disparait avec les émotions de chaque minute. De là les patientes études qu’il avait pratiquées sur lui-même, ne pouvant les pratiquer sur ses modèles. S’est-il assez peint lui-même, à tous les âges, dans tous les costumes, en pourpoint de velours, avec chaînes d’or, en chapeau d’officier, en houppelande et en bonnet de paysan, et, circonstance remarquable, toujours de face ou de trois quarts, jamais de profil ! Le profil en effet ne présente que les traits les plus indestructibles du visage ; la face et le trois quarts offrent seuls cette vie mobile que cherchait Rembrandt, et qu’il a su atteindre comme nul autre peintre avant et après lui. Peut-être est-ce là qu’il faut chercher le secret de la singularité qui vient de nous occuper. L’originalité véritable de l’individu est dans la forme et non dans la physionomie. Au sein de la vie et de la passion, tous les hommes ont entre eux quelque ressemblance ; mais, s’ils rentrent dans le repos et l’immobilité, l’inégalité reparaît aussitôt. On ne sait réellement si une femme est laide ou belle que lorsqu’on l’a vue dans une parfaite impassibilité.

La fameuse Ronde de nuit a été si souvent et si bien décrite que je ne me sens pas le courage de chercher encore une fois le secret de cette magie. Nous déclarons naïvement qu’il nous a été impossible de découvrir d’où part en réalité la lumière de cette toile merveilleuse, et que nous n’oserions décider si le rayon tombe d’en haut ou s’il part d’une lanterne qu’on doit supposer hors du tableau. Dans ce dernier cas, la lumière partirait nécessairement du côté gauche du tableau, trouverait son foyer au centre, — là où elle fait resplendir comme une fée d’apothéose dramatique cette petite juive blonde aux poulardes pendues à sa ceinture, mignonne, nabote, grassouillette, vrai modèle des Suzannes du peintre à l’âge de douze ans, égarée au milieu de la forêt de grandes jambes des arquebusiers, — et irait se refléter sur le pourpoint jaune de l’officier qui est à droite sur le premier plan. Nous comprenons parfaitement l’enthousiasme qu’une telle œuvre inspire aux artistes et à ceux qui cherchent avant tout dans Rembrandt l’homme de métier ; mais nous déclarons franchement professer l’opinion des rares juges qui ont eu le courage de préférer à cette toile la Leçon d’anatomie. Nous en dirons seulement trois choses. Comme œuvre de métier, c’est la plus incomparable lanterne magique que jamais peintre ait allumée. Comme œuvre d’imagination, la conception en est moins originale qu’elle ne le paraît, et la fantaisie du peintre y a moins