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mieux avec son talent. Là où cette âme de notre tempérament physique se révèle le mieux, c’est à la fin d’un repas, lorsque la bonne chère l’a mis en joie et en mouvement. Alors la pourpre du sang anime les joues du sanguin et fait déborder le flot des paroles bruyantes ; le lympathique devient plus profondément rêveur et sur son front perle une légère rosée ; le nerveux est saisi d’une irritation de sociabilité ; quant à l’homme dont le tempérament est en bon équilibre, son œil devient humide, et, ses fibres se relâchant, sa personne entière trahit l’attendrissement. Toutes ces expressions de l’âme de la matière se rencontrent dans le Repas de la milice de van der Helst, et font à cette toile une place à part dans les œuvres de la peinture.

Nul bien décidément n’est prophète dans son pays, et van der Helst est une nouvelle preuve de la vérité de ce proverbe. Van der Helst, né à Harlem, ne figure dans les archives peintes de l’hôtel de ville que pour une seule toile, tandis que son maître (ainsi le veut une tradition incertaine), Franz Hals, né à Malines, y a déposé douze grandes toiles, dont deux restées inachevées. Ce genre de peinture où il s’agissait de représenter des personnages pris dans la vie ordinaire avec les proportions des figures de fresques était peut-être la seule combinaison qui permît d’allier les grandes allures de la peinture flamande à la précision hollandaise ; on pouvait introduire quelque chose du génie dramatique de Rubens et de Van Dyck dans ces grandes réunions de personnages qui exigeaient les groupes, les contrastes d’expressions. Un Flamand devait exceller dans ce mélange et en tirer à peu près tout ce qu’il pouvait donner, et Franz Hals n’a point failli à cette tâche ; mais est-il bien réellement le maître de van der Helst, comme on l’a prétendu ? Que pouvait-il apprendre à van der Helst ? Il ne lui a pas révélé ce genre, qui est essentiellement un genre national, ainsi que cet hôtel de ville de Harlem en fait foi ; quelques-uns des premiers peintres de la Hollande, Corneliszen de Harlem, Pieters Grœbber et autres, l’avaient pratiqué avant la grande époque de l’art hollandais. Quant au faire et au coloris des deux artistes, loin de se ressembler, ils sont à l’extrême opposé. La peinture de van der Helst est brillante, chatoyante, luisante ; celle de Franz Hals est d’un coloris vigoureux, mais sans miroitement. Il y a dans la peinture de van der Helst une extrême patience de rendu, il y a dans celle de Franz Hals au contraire une certaine affectation de négligence ; en vrai Hollandais, van der Helst accorde à tous les détails la même impartiale et minutieuse attention ; Franz Hals sacrifie beaucoup plus à la composition et aux suppressions qu’elle exige pour grouper les personnages ou attirer l’attention sur les figures