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mots sur une partie de cette collection qui en est pour nous le véritable intérêt, la collection des images et dessins coloriés. La plupart de ces images routent sur ce sujet dont l’imagination chinoise et japonaise, plus fine que grande, semble ne pouvoir sortir, la représentation de la vie intime et bourgeoise. Nous y suivons l’existence d’une famille japonaise à toutes les heures du jour et du soir, au lever, à la toilette, aux repas, recevant des visites, chantant sur la guitare sa musique indigène, à sa maison de ville, à sa maison de campagne. Plus précieux que ces scènes de la vie intime sont les dessins qui représentent des paysages. Là les Japonais se montrent artistes vraiment supérieurs, quelquefois grands, et toujours d’une adresse consommée. Un de ces paysages, peu remarqué, je le crois, enfoui qu’il est dans la masse des objets, est un cauchemar vraiment étrange. Un courant d’eau torrentueux et profond coule entre deux murailles implacables de rochers qui l’étreignent avec force et montent à pic jusqu’à une hauteur des plus respectables. Le fleuve tourne, les parois de la muraille de pierre tournent aussi avec lui, absolument comme deux geôliers qui accompagnent les mouvemens d’un prisonnier. Rien que cela, et l’on frissonne ; c’est la plus sinistre image de solitude coupable que j’aie vue ; jamais décor de mélodrame n’a été aussi saisissant, surtout aussi simplement conçu. Ce qui distingue les paysagistes japonais, c’est une faculté que l’on rencontre également dans la poésie descriptive des Chinois au plus haut degré, la faculté de reproduire les surfaces extérieures des choses, comme s’ils étaient doués du pouvoir de les écorcher et d’en transporter l’épiderme sur leurs tableaux. Deux des phénomènes de la nature entre autres, l’eau courante et la neige, sont attrapés par eux avec une habileté extraordinaire. Quelque précieuse néanmoins que soit la collection Siebold, c’est à La Haye qu’il faut aller pour voir le chef-d’œuvre de l’art japonais : nous voulons parler de quatre tableaux émaillés sur cuivre représentant, comme toujours, des scènes de la vie domestique, et qui se trouvent au musée des curiosités. Lorsque les yeux viennent largement de se repaître des chefs-d’œuvre de l’étage supérieur, ces tableaux émaillés composent le plus admirable dessert de friandises. Rien que colorations tendres et fragiles unies dans la plus suave harmonie, lilas, vert de pousses d’avril, rose de pêcher en fleur, blanc mat de lait reposé, gris-perle, bleu pâle ; c’est vraiment un printemps de couleurs. Deux tableaux hollandais, également émaillés sur cuivre, sont placés au-dessous de ces chefs-d’œuvre d’une finesse si harmonieuse, comme pour servir de contraste et faire ressortir la supériorité de ces artistes de l’extrême Orient. Oh ! que les couleurs en paraissent crues, barbares, que les paysages en paraissent lourds et secs, et que l’aspect général en est maussade !