Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’homme que cette obsession de l’idée d’éternité qui s’était comme assise sur l’âme des anciens Égyptiens avec la pesanteur d’une pyramide sur les sables du désert. C’est la terreur de la mort et le respect de la forme humaine qui avaient présidé à ces pratiques de l’embaumement, et elles ont abouti à créer la plus parfaite image de la mort qui se puisse rêver, pis que cela, la plus parfaite image de la décrépitude. Méphistophélès, qui ne perd jamais ses droits en ce monde, s’il visitait cette galerie avec le docteur Faust, ne manquerait pas de lui faire remarquer que les Égyptiens, en voulant sauver de l’anéantissement leurs morts chéris, les ont condamnés, résultat grotesque, à l’éternelle caducité. Toutes les momies en effet, quel que soit leur âge ou leur sexe, sont caduques et séniles. Infortunées momies ! est-ce que le sein de la nature n’eût pas été un tombeau plus doux ? est-ce que la dissolution au sein de cette éternelle fontaine de jouvence ne leur aurait pas mieux assuré le privilège de l’immortalité ? Peut-être aujourd’hui, après avoir traversé des élémens sans nombre, vivraient-elles sous une forme aimable, au lieu d’être retenues captives dans les liens d’une mort hideuse ! Trois fois heureuses sont-elles quand, broyées en couleur sur la palette du peintre, elles servent à réchauffer les ombres noires des toiles de quelque Ribeira ! trois fois heureuses celles dont l’ignorante médecine du passé se servit pour calmer les convulsions des épileptiques, ou que les sorcières mêlèrent à leurs philtres d’amour ! Au moins celles-là ont été associées à la vie humaine. Le mouchoir magique qu’Othello donna en cadeau à Desdémona et qui causa la mort de la douce patricienne avait aussi été teint dans la liqueur balsamique d’une momie, et c’est la meilleure fortune qui leur soit arrivée que ce service rendu à la poésie. Ah ! si le musée grec de Leyde, pensions-nous durant notre promenade, était aussi complet que la galerie égyptienne, voilà où nous trouverions la véritable idée de l’immortalité ; mais quoi ! tout maigre que soit ce musée, ne s’y rencontre-t-il pas un bel échantillon de sculpture où cette idée se laisse lire, cette tête d’Apollon, sereine et correctement belle, et qui dit avec une éloquence si simple : La beauté immuable au sein du calme immuable, voilà l’immortalité ?

On a décrit plusieurs fois la précieuse collection japonaise du colonel Siebold, et on a très bien dit ce qui en fait l’attrait. C’est moins un musée qu’une collection de bric-à-brac ; par cela même, elle nous initie de plus près à la vie intime des Japonais que la collection de La Haye elle-même, si riche et si choisie. Nous ne reviendrons pas, après les voyageurs dont les récits sont entre les mains de tout le monde, sur les principales merveilles de ce musée, bijoux, bronzes, ivoires. Nous voulons cependant dire quelques