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fit point devant cette promenade la dédaigneuse grimace qu’il avait faite devant la peinture hollandaise, et lui qui avait dit à propos des Teniers et des van Ostade : « Enlevez ces magots de mes yeux, » lorsque ses troupes entrèrent à Utrecht, il fit ordonner qu’on respectât cette avenue dont le caractère majestueux était si bien d’accord avec ses goûts. — Que c’est beau, mais que c’est triste et taciturne ! Huit rangées de tilleuls, noblement espacées, quatre d’un côté et quatre de l’autre, séparées par une spacieuse allée, s’étendent en ligne droite sur une longueur de près de trois quarts de lieue. On ne saurait rien imaginer de plus imposant ; toutefois se promener sous ces allées est vraiment aussi peu un plaisir que possible. Vaste est l’espace, et pourtant l’air respirable y manque ; il semble que l’âme subisse une sorte de contrainte, et qu’elle perde toute élasticité. A vos pieds, pas un brin d’herbe, rien que les nobles flots d’une poudre séculaire lentement amoncelée ; aussi, lorsque vous brossez vos vêtemens, vous avez le privilège de vous dire que vous avez été au moins noblement sali : la poussière que vous secouez n’est pas une poussière roturière du matin ou de la veille, c’est une poussière qui date peut-être du XVIe siècle et que soulevèrent autrefois les miquelets du duc d’Albe. Cette promenade a cependant une verdure, puisque ces arbres ont un feuillage ; mais cette verdure est perchée si haut que les oiseaux du ciel peuvent seuls en jouir. Oh ! comme on soupire après les brimborions de verdure de nos parcs modernes, après leurs arbrisseaux plantés de la veille, et comme on pense qu’il est vrai, l’antique adage qui disait que gaîté n’est pas compagne de grandeur !

Le musée d’antiquités, qui est fort riche, présente à ceux dont l’imagination ne dédaigne pas les violentes sensations de l’écrasement de remarquables sculptures de divinités indiennes, et à ceux que l’amour de la science rend capables de braver l’horreur il offre la plus complète collection de momies égyptiennes. C’est un des plus laids spectacles qu’on puisse voir que celui de ces corps noirs, desséchés, et qui, dans la longue habitation du sarcophage, ont échangé la forme humaine contre celle du singe. Crocodiles sacrés, ibis, serpens, chats et ichneumons ont aussi partagé ce triste privilège de l’immortalité ; plus heureux que l’homme, ils ont au moins conservé dans cette longue mort la parfaite pureté des formes de leurs espèces. En parcourant cette galerie funèbre, je me suis surpris à murmurer le vers de Dante :

O vana gloria dell’ umane posse.

ô vaine gloire des grandes pensées et des grands sentimens de l’homme ! Peu de choses sont plus grandes dans l’histoire morale