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d’une autre sorte, une acuité particulière de sensation en présence de la nature matérielle, une grande patience d’examen microscopique. En dirigeant bien ces facultés, ils peuvent devenir de fins miniaturistes ; mais les grands tableaux ne sont pas leur fait.


ALFRED EBELOT.


Études sur la Poésie latine, par M. Patin, de l’Académie française, 2 vol. in-18. Hachette, 1869.


Après avoir enseigné pendant plus de trente ans la poésie latine à la Faculté des lettres de Paris, dont il est aujourd’hui doyen, M. Patin, en descendant de sa chaire, laissait regretter à de nombreuses générations d’auditeurs fidèles que ses leçons n’eussent pas été recueillies. Élèves et maîtres auraient voulu retrouver dans un livre cet enseignement qui ne vivait plus que dans leur mémoire. Sans doute M. Patin avait publié d’importantes et délicates études sur les poètes latins dans la Revue, dans le Journal des savans ; de plus, il faisait imprimer ses discours d’ouverture ; mais ces rares exemplaires offerts à l’amitié n’arrivaient pas à une publicité véritable. Les articles dispersés dans les recueils n’étaient point faciles à retrouver, et, par cette dispersion, perdaient un peu de leur prix. Discours et articles sont aujourd’hui réunis, rangés dans un ordre méthodique et lucide ; ils se tiennent, se suivent et forment, à part certaines lacunes inévitables en un pareil ouvrage, une histoire à peu près complète de la poésie latine sous la république et au siècle d’Auguste.

Le premier volume, qui renferme surtout des discours, retrace le mouvement général et la marche de la poésie romaine depuis ses origines jusqu’au moment où elle touche à sa perfection avec Lucrèce, Catulle, Virgile et Horace ; le second volume contient des études plus détaillées sur Ennius, les tragiques, les comiques, sur Lucilius, c’est-à-dire sur les ouvriers qui façonnèrent et préparèrent lentement la langue et l’an dont les grands poètes des âges classiques furent les heureux héritiers. L’ouvrage entier nous montre ainsi sous deux faces différentes ce que fut l’enseignement de M. Patin à la Sorbonne. Le savant professeur avait transformé l’étude de la poésie latine ; il y avait porté, avec les rares qualités personnelles de son esprit et de son goût, une méthode nouvelle. Avant lui, dans les plus hautes chaires, on se bornait à étudier les chefs-d’œuvre poétiques de Rome, on les jugeait à la lumière de certaines règles traditionnelles, on en célébrait les beautés avec une admiration convenue et trois fois séculaire, on les proposait comme modèles, et même, dit-on, un peu de déclamation ne nuisait pas au succès et passait pour la chaleur d’un noble enthousiasme. Ne médisons pas trop de cette critique ancienne, qui a été utile, qui réveillait le culte du beau, entretenait dans les jeunes esprits le respect de l’art, mais dont les redites prévues, incomplètes, arbitraires, ne pouvaient plus convenir à un temps curieux, plus avide d’histoire précise que de théories littéraires, et qui avait mis en pièces les codes poétiques. M. Patin, sans renoncer à l’interprétation des chefs-d’œuvre, où il excellait, se proposa surtout de constituer à la longue l’histoire de la poésie latine, qui n’existait pas en France, et, profitant des savantes monographies qu’on faisait en Allemagne sur les plus vieux auteurs romains, il les éclaircit les