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deux pères, celui quem nuptiæ demonstrant, et celui qui a porté le trouble, il y a une vingtaine d’années, dans un humble ménage bourgeois. Le troisième acte, très dramatique, très émouvant, qui met les deux pères en présence, renferme une scène hardie, conduite avec une rare habileté. On y reconnaît la main d’un maître. Malheureusement, pour amener cette scène décisive, il a fallu des explications qui n’occupent pas moins de deux actes. Certes l’esprit et la gaîté n’y manquent pas ; est-ce bien assez toutefois pour soutenir l’intérêt de ce long imbroglio ? L’auteur a éprouvé le même doute que nous, puisqu’il a jugé convenable de déguiser sa signature. Le jour où le spirituel écrivain exprimera des idées qui lui appartiendront en propre, il retrouvera un succès de meilleur aloi. Sa pièce n’est que divertissante et curieuse ; il visait plus haut jusqu’ici, et ses conceptions théâtrales, qu’elles fussent vraies ou fausses, obligeaient la critique à de sérieuses discussions.


F. DE LAGENEVAIS.


ESSAIS ET NOTICES.
Les Institutions médicales aux États-Unis, rapport présenté au ministre de l’instruction publique par le Dr Th. de Valcourt. Paris 1869, Adrien Delahaye, éditeur.


Il se fait depuis quelques années dans nos opinions usuelles une espèce de révolution lente à laquelle on ne prête pas peut-être toute l’attention qu’elle mérite. L’ancien système de la centralisation française, que, suivant une phrase consacrée, l’Europe nous envie, et auquel nous payons toujours, par habitude, le tribut d’une admiration banale, est à présent battu en brèche par la plupart des esprits éclairés. Si la liberté fait peu de progrès dans nos institutions politiques, elle en fait de très grands dans nos idées et dans nos mœurs. Le champ de ses applications pratiques s’étend et s’agrandit tous les jours. On la considère de plus en plus comme la solution la meilleure d’une foule de questions administratives ou sociales qu’on ne croyait autrefois pouvoir résoudre que par une réglementation minutieuse et par l’intervention souveraine de l’état. L’éducation, l’industrie, les professions libérales, tendent à s’affranchir peu à peu de la tutelle administrative, en même temps qu’elles renoncent à une protection particulière de la société. Nous ne faisons en cela qu’obéir aux nécessités de la civilisation moderne et aux principes d’égalité que toute vraie démocratie porte avec elle.

Mais ces modernes applications de la liberté sont généralement combattues par les hommes spéciaux. Cela se conçoit de reste. Protégés dans l’exercice de leurs professions par les restrictions mêmes qui en défendent l’accès, les hommes spéciaux ne consentent pas volontiers à rouvrir la porte à la concurrence et à faire rentrer dans le domaine commun des privilèges qu’ils ont chèrement acquis. Il faut savoir gré de leur libéralisme à ceux qui savent secouer les préjugés naturels de toute éducation