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irrégulières, comme les appelle M. de Lancy, — il vient donc, en hésitant beaucoup, faire sa demande à sa belle voisine ; singulière demande en vérité, confuse, tortueuse, entortillée, un imbroglio à n’y rien comprendre. Il commence par déclarer à Mme de Verlières qu’il est obligé de lui donner congé. Il veut se marier, il a besoin de ce premier étage, c’est la demeure qu’il réserve à Mme de Lancy. Vous voyez venir la requête du gentilhomme des bois ; Mme de Verlières n’a qu’à changer de nom pour conserver son appartement. « Mais, je crois, Dieu me pardonne, — s’écrie la belle veuve avec une surprise profonde, — que vous m’intentez une demande en mariage ! » Pourquoi non ? M. de Lancy est un esprit sympathique autant qu’original, et ses bizarreries ne lui font aucun tort. On l’écoute donc, on lui répond, on le console, car on serait fâché de lui causer un chagrin trop vif ; mais quoi ! Mme de Verlières attend aujourd’hui même un sien ami, M. de Mauléon, qui revient des Indes pour l’épouser. Dans le va-et-vient de la conversation, un problème délicat se trouve tout à coup sur le tapis : un homme est-il bien coupable si, revoyant sous des traits altérés ou vieillis la femme qu’il voulait épouser, il cesse d’aspirer à sa main ? « Très coupable, » dit Mme de Verlières avec feu, et comme M. de Lancy ne partage pas cette indignation, elle le gronde vertement. C’est elle pourtant qui tout à l’heure, après avoir revu M. de Mauléon, rompra sans beaucoup de façon avec lui. Pourquoi cela ? Parce que M. de Lancy est plus aimable ? parce que la belle veuve ne se résigne point à quitter son appartement ? Il y a bien des raisons peut-être pour ce revirement subit ; la raison décisive, celle que Mme de Verlières n’a indiquée que vers la fin, et voilà précisément le Post-Scriptum, c’est.-que M. de Mauléon est revenu tout chauve de son voyage des Indes. M. de Lancy est deux fois vainqueur ; il a prouvé sa thèse et gagné la main de Mme de Verlières. Mais pourquoi raconter ce qui échappe à l’analyse ? Il faut assister à ce duo charmant où l’esprit étincelle, où l’imprévu éclate, où les mots pétillent, où les rôles changent subitement de la façon la plus naturelle, surtout il faut entendre Bressant dans le rôle du gentilhomme et Mme Arnould-Plessy dans le rôle de la belle veuve. Si l’art de la causerie parisienne était menacé de se perdre, comme le répètent des esprits moroses, on le retrouverait à la Comédie-Française. Nous adressons particulièrement cette louange à Mme Arnould-Plessy. Dans un ouvrage plus important de M. Augier, dans cette vive pièce de l’Aventurière, reprise dernièrement avec un légitime succès, Mme Plessy a montré les ressources d’une comédienne accomplie ; c’est la même diction de plus en plus châtiée qui fait valoir l’ingénieuse bluette intitulée le Post-Scriptum.

Nous ne voulons pas terminer cette revue sans dire quelques mots d’une comédie représentée ces jours derniers au Gymnase : le Filleul de Pompignac ne se recommande ni par l’élévation des idées ni par la nouveauté des situations ; il s’agit d’un jeune homme qui se trouve avoir