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et ce qui le préoccupe en ce moment si grave, c’est une intrigue avec une jeune aventurière, Mme de Cressey, qui vient de s’installer dans les environs. Voilà Maxime de Turgy aussi éperdu que Mme de Cambre, il sent, lui aussi, que sa force lui échappe. Devoir, vertu, honneur, qu’est-ce que cela quand l’amour a commandé ? Sa passion éclate avec transport ; vainement Julie veut lui fermer la bouche, l’obliger à fuir, vainement elle lui demande grâce ; chacune des paroles, chacun des cris de Maxime pénètre au fond de son âme. Un instant il semble qu’elle va se rattacher encore à son devoir ; M. de Cambre est venu adresser quelques bonnes paroles à sa femme. Serait-ce l’influence du sermon de Maxime ? Julie entrevoit une lueur d’affection, elle se relève, elle ne veut pas tomber ; mais bientôt M. de Cambre la prie de vouloir bien recevoir une voisine, une jeune femme très digne d’intérêt et que des amis communs lui ont fort recommandée, Mme de Cressey. C’est sa maîtresse, Julie ne l’ignore point. Cela dit, Maurice s’en va, toujours frivole, toujours souriant, uniquement occupé de ses plaisirs et laissant à son ami Maxime le soin d’accompagner Mme de Cambre dans une promenade à cheval. Alors s’échappe du cœur de la malheureuse le cri qui est sur ses lèvres depuis le commencement du drame et que tous les spectateurs ont deviné : Je suis perdue !

Elle est perdue en effet, et le châtiment va commencer. C’est à ce terrible passage du premier acte au second que l’auteur a eu besoin de toute son adresse. Une promenade à cheval, un orage qui éclate, une halte forcée dans une maison de garde, le garde tenant les chevaux, Maxime et Julie réfugiés sous l’humble toit, il n’en faut pas davantage pour amener la catastrophe :

Ille dies primus lethi, primusque malorum
Causa fuit.


Ce jour, cette heure, ont produit pour eux la misère et la mort. C’est Virgile qui s’exprime de la sorte au quatrième livre de l’Enéide, car il est impossible de ne pas se rappeler ici la grotte de Didon, et il faut bien remarquer en même temps combien il y a loin de la scène du poème à celle du drame ; mais il ne s’agissait pas pour M. Octave Feuillet d’embellir les circonstances de l’adultère comme le chaste Virgile a poétiquement raconté la chute de Didon. Il n’y a rien ici qui remplace les feux étincelans, l’éther enflammé, la nature entière complice de la faute, et les nymphes hurlant au sommet des montagnes (summoque ululârunt vertice nymphæ). L’auteur du drame n’a pas reculé devant ces réalités vulgaires que le théâtre moderne dissimule volontiers sous une poésie de convention. La poésie de l’adultère n’est plus qu’un ridicule mensonge ; j’aime mieux la rude franchise de l’auteur de Julie. On sait d’ailleurs que les plus vives audaces chez M. Octave Feuillet n’excluent jamais la délicatesse de l’art ; deux mots timides, honteux, de