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Cambre. Maxime est un galant homme, un cœur tendre et viril, qui n’a pu voir sans une pitié profonde les malheurs de Julie. Pendant bien des années, ami du mari, voisin de campagne, hôte intime de la maison, il a été, non pas d’abord le confident des douleurs de Mme de Cambre, mais le témoin de sa vie. Sans qu’elle lui ait rien dit, il sait ce qu’elle souffre, et elle aussi, sans que Maxime ait parlé, elle sait que le cœur de Maxime lui appartient. Un rigide moraliste, les voyant si nobles tous deux, jetterait un cri d’alarme : — fuyez, dirait-il, séparez-vous, ce n’est pas assez de réprimer vos paroles, de mettre un frein à votre langue ; vos yeux parlent, votre âme parle, Julie sait trop qu’elle est aimée. — Et que Maxime de Turgy ne compte pas sur la noblesse de ses propres sentimens, sur le désintéressement de son amitié ; il y a des pages célèbres de l’un des maîtres du XVIIe siècle sur ces « amitiés sensibles et prétendues innocentes. » Nous pardonnera-t-on de rappeler des paroles de Bourdaloue à propos d’une œuvre toute passionnée ? Pourquoi non ? Ces moralistes austères avaient vu de très bien des drames analogues à celui qui est placé ici sous nos yeux, et c’est une chose piquante après tout que de rencontrer chez de tels maîtres le commentaire de M. Octave Feuillet. Maxime de Turgy est l’âme la plus droite, la plus chevaleresque ; Il quel sujet y aurait-il donc de s’en défier ? — ainsi parle le moraliste, interprétant les sentimens secrète des personnages, — et quel péril peut-il y avoir à entretenir une connaissance fondée sur de si excellentes qualités, sur la probité, l’ingénuité, la candeur d’âme, les bonnes mœurs, le mérite ? C’est ainsi qu’on se rassure ; mais cela même où l’on pense trouver sa sûreté, c’est justement ce qui doit inspirer plus de défiance. Il est certain qu’une personne d’une vertu équivoque serait beaucoup moins à craindre. On s’en garderait, on s’en dégoûterait… » N’est-ce pas là l’explication des sentiment qui agitent la vertueuse Julie de Cambre et le loyal Maxime de Turgy ? C’est pourtant du Bourdaloue. J’entendais dire autour de moi que Maxime était depuis trop longtemps l’ami de Julie pour devenir son amant, que la chute de la malheureuse abandonnée s’expliquerait mieux par une explosion de délire, par une ivresse soudaine de l’imagination et du cœur, et qu’il fallait là, non pas un ami de longue date, mais un étranger, une apparition imprévue. Je ne suis pas de cet avis. C’est précisément cette longue intimité, où la droiture a eu le rôle principal, où l’estime a été si vraie de part et d’autre, qui prépare une âme comme celle de Julie aux suprêmes défaillances. Interrogez encore sur ce point le maître vigilant que nous écoutions tout à l’heure, voici ce qu’il répond ; « Cet ami qu’on estime touche d’autant plus le cœur qu’il paraît plus estimable et qu’il l’est ; on s’y attache, et si l’attache devient réciproque, eût-on d’ailleurs les intentions les plus pures, on ne peut plus guère compter ni sur cette personne ni sur soi-même. »

Parole bien grave, si on se donne la peine d’en pénétrer le sens. Le premier acte de Julie est le développement dramatique de ce que le