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trop, voilà le problème que s’est posé M. Octave Feuillet. Nous croyons ne rien exagérer en disant qu’il l’a résolu : non pas certes qu’il n’y ait des objections à faire, des invraisemblances à signaler, certaines crudités de réalisme à regretter ; nous disons seulement que l’impression générale de l’œuvre est bien celle que l’auteur a voulu produire. Dans un temps où, sous prétexte de déployer sa force, l’esprit des inventeurs se livre si souvent à des contorsions risibles, où les talens même les mieux doués craignent de paraître faibles, s’ils ne forgent sur l’enclume les traits de leur fantaisie, où le poète n’est rien s’il n’a de la poigne (c’est un terme nouveau dont s’est enrichi l’argot du moment), il est bien qu’une imagination pleine de ressources ait osé se dire : Je produirai les émotions les plus vives par les moyens les plus simples. La sobriété dans la vigueur est un mérite qui devait tenter M. Octave Feuillet. Parmi les écrivains d’imagination, il n’en est pas aujourd’hui qui soit plus attentif à se surveiller, à se compléter, qui se montre plus respectueux de son art, qui prodigue plus de soins à son œuvre,


Amoureux de l’ensemble et de chaque contour.


Ce progrès nouveau devait donc éveiller l’ambition d’un écrivain qui, malgré bien des soirées brillantes, n’avait pas encore égalé au théâtre les succès de ses romans. Il faut ajouter que dans ses œuvres précédentes mainte scène, mainte page, et cela dès le début même de sa carrière, attestaient ce qu’il pourrait faire le jour où il voudrait donner, non plus à un épisode seulement, mais à une œuvre tout entière, cette concision nerveuse dont nous parlons. Qu’on se rappelle la scène du chiffonnier dans M. de Camors, qu’on se rappelle aussi dans ce petit drame d’Alix, publié ici même il y a vingt et un ans, l’instant où la jeune fille, après avoir poussé son amant à conspirer contre le tyran, s’aperçoit qu’elle aime ce tyran détesté dont elle voulait la mort. Nous n’avons donc pas été surpris lorsque nous avons vu l’auteur de Julie essayer de ce système pendant trois actes, et enfermer l’extrême passion dans le cadre le plus simple.

Nous avons indiqué le système, il faut examiner l’œuvre. On connaît le but, voyons les personnages, il y en a trois au premier plan, deux au second ; rien de moins compliqué. Au premier plan, voici M. et Mme de Cambre, Maurice et Julie, avec leur ami et voisin de campagne Maxime de Turgy. Au second plan, voici une toute jeune fille, Cécile, l’enfant de la maison, et une personne bien différente, Mme de Cressey, qui n’a qu’une scène dans toute la pièce. Maurice de Cambre a épousé Julie il y a dix-sept ou dix-huit ans ; c’est un homme aimable selon les jugemens du monde, c’est-à-dire, disait spirituellement Duclos dans ses Considérations sur les mœurs, un des hommes les moins dignes d’être aimés. Au fond, c’est un parfait égoïste. Léger, frivole, libertin, il a des maîtresses parce qu’il en a toujours eu, et il ne saurait comprendre que sa femme ne soit