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mariage de raison qui était après tout une œuvre de nécessité. Ce n’est plus ainsi aujourd’hui. L’union libérale bat de l’aile un peu partout, il n’y a plus que quelques braves provinciaux qui lui gardent leur foi. C’est à qui lèvera un drapeau de fantaisie et formera un camp nouveau. On se croit sans doute si bien assuré de la victoire qu’on fait déjà tout ce qu’on peut pour la perdre. Les jeunes font la guerre aux vieux, les anciens pairs de France, devenus socialistes sur le retour, ouvrent la campagne contre M. Thiers ; les chroniqueurs, armés à la légère, descendent dans la lice, probablement pour que tout soit représenté au besoin dans le prochain corps législatif. Vieux et jeunes, médecins et avocats, se culbutent dans la mêlée. Ce serait un spectacle assez réjouissant, s’il ne s’agissait en vérité des choses les plus sérieuses, des destinées mêmes du pays. Au fond, le phénomène frappant du mouvement actuel, c’est cette décomposition d’où se dégage cette nouveauté souveraine qui s’appelle la démocratie radicale, et qui refuse de s’appeler l’opposition révolutionnaire.

La démocratie radicale, puisque ainsi elle se nomme, a donc aujourd’hui le haut bout à Paris, elle aspire à régner. Elle se sépare, bien entendu, des libéraux, et elle flétrit rétrospectivement la révolution de 1830 avec un à-propos plein de goût. Jusque dans son propre camp d’ailleurs, elle ne laisse pas de se montrer ombrageuse et difficile. M. Carnot avec son vieux nom révolutionnaire ne lui suffit pas ; il est mis à la retraite comme étant hors d’âge, peut-être aussi comme n’étant plus à la hauteur des circonstances, et M. Jules Favre lui-même, malgré toutes ses candidatures, n’est visiblement supporté qu’avec peine. M. Jules Favre rencontre des schismatiques prêts à le renier, on ne le lui dit pas encore crûment, on le couvre de fleurs ; mais il est clair qu’on le traite en académicien, en beau parleur, et qu’il a beaucoup de choses à se faire pardonner. Quant à M. Émile Ollivier, il y a longtemps qu’il ne compte plus, et qu’il est devenu le bouc émissaire de toutes les haines démocratiques. C’est celui-là qu’il faut abattre tout d’abord. On envoie contre lui en province, dans le Var, un jeune avocat du barreau de Paris, M. Clément Laurier, et à Paris même il a pour adversaire M. Bancel, un jeune démocrate de 1848 qui compte toujours dans la jeunesse de 1869. Il n’est rien de tel que la démocratie pour prolonger la jeunesse, demandez à M. Raspail, qui fait en ce moment concurrence à M. Garnier-Pagès, réputé, lui aussi, trop vieux. En général, ce qu’on reproche à cette opposition élue à Paris en 1863 et qui reparaît aujourd’hui devant ses juges, c’est d’avoir été trop modérée, trop parlementaire, de n’être pas entrée en conquérante dans l’enceinte du corps législatif, de n’avoir pas tout saccagé du premier coup. C’est assez puéril, mais c’est ainsi. Assurément ce ne sont pas les mots de démocratie radicale qui nous effraient, et d’un autre côté nous ne sommes nullement disposés non plus à mettre en