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l’espace, l’infini, la variété merveilleuse du monde. On ne songe pas à établir une hiérarchie entre ces trois principes, le matériel, le dynamique, l’animique ; on ne cherche pas davantage à en expliquer les mutuelles relations. Tous les argumens que M. Hirn invoque pour en démontrer l’existence ont un caractère négatif : s’il croit à la réalité indépendante de la force, c’est qu’il ne découvre rien dans la matière qui puisse expliquer les lois et la propagation de la chaleur, de la gravité ; s’il croit au principe animique, c’est qu’il ne trouve pas moyen d’expliquer les phénomènes de la vie par le jeu des forces ordinaires. On est ainsi poussé comme à reculons du naturalisme dans le surnaturel ; mais, surnaturel pour surnaturel, nous aimons mieux l’ancien que le nouveau, déjà vague, informe et sans limites. On est surpris de rencontrer dans le livre de M. Hirn un ton d’assurance et de démonstration que ne comportent pas de pareilles matières, et que ne justifie pas le résultat auquel parvient l’auteur. Les problèmes les plus délicats, ceux dont la formule elle-même se noie dans les limbes incertains de la pensée, sont traités à la façon de théorèmes. Il annonce et développe son système comme on expose quelque irréprochable théorie. On éprouve une sorte de défiance invincible devant tant de confiance ; les esprits ne sont pas encore plies à se porter de la thermodynamique à la théodicée, des lois les plus ordinaires de la physique aux plus effrayans problèmes de la destinée humaine. Si la science doit mener à la philosophie, il ne nous semble pas que ce soit par les chemins où la conduit M. Hirn ; tout son spiritualisme est attaché à un point, à une sorte de nœud qui est la distinction fondamentale entre la matière et la force. Or, sur cette question capitale, il ne réussit point à convaincre. La force assurément figure dans nos calculs et nos raisonnemens comme une abstraction ; mais en fait elle tient toujours la place d’une réalité.

Quand on parle de l’attraction d’un aimant sur un autre aimant, c’est comme si on supprimait l’aimant pour mettre à la place une tension unique. Prenons un corps quelconque ; ce qui retient une moitié contre l’autre, nous le résumons d’un mot et nous l’appelons la cohésion. Imaginer des forces qui soient tout autre chose que les corps, des mouvemens qui naissent non d’un autre mouvement, mais d’une simple variation dans l’intensité de je ne sais quel principe transcendant, c’est jeter la pensée scientifique hors des domaines où elle peut chercher quelque certitude, et quand on échafaude le spiritualisme sur une semblable doctrine, on risque de ne persuader ni les savans ni les philosophes. La science au reste ne doit se mettre à l’avant-garde d’aucune école philosophique. Elle n’a point à se préoccuper des querelles que susciteront toujours ces mystères que nous nommons âme, conscience, volonté, destinée