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inorganiques. Tout ce qui jouit soit de la volonté, soit même de cette volonté qui s’ignore et se nomme l’instinct, tout ce qui revêt les formes de l’organisation renferme un autre principe transcendant comme le premier, comme lui lié à la matière, mais indépendant de la matière, qui s’appelle l’âme. Pour établir l’existence et l’indépendance de la force, M. Hirn a tenté de démontrer que force et matière sont deux choses différentes ; pour établir l’existence et l’indépendance du principe animique, il cherche à prouver que le rôle de ce dernier est distinct de celui de la force. Cette partie de sa tâche est plus facile que la première, car dès qu’on remonte des phénomènes inorganiques aux phénomènes vitaux et psychiques, l’impuissance de la physique, de la chimie, éclate à tout instant. « Nous avons nettement limité les attributs de la matière, dit avec quelque assurance M. Hirn, cela est certain ; mais ce que nous lui avons vu perdre en puissance est allé directement accroître les attributs d’un autre élément constitutif, de l’élément intermédiaire, de la force. Tandis que nous avons pu assigner à l’atome matériel le caractère essentiel du fini dans l’espace et dans le temps, nous avons vu l’autre élément prendre un caractère tout à fait transcendant. La question qui maintenant se présente presque spontanément à l’esprit est celle-ci : les forces du monde inanimé ne nous suffisent-elles pas pour expliquer complètement les phénomènes du monde organique, de la vie ? » En d’autres mots, les forces vitales ne sont-elles qu’une manifestation particulière des autres forces, et peut-on expliquer la vie par le dynamisme et l’âme elle-même par la vie ?

Un grand nombre de physiologistes modernes considèrent la vie comme l’œuvre simultanée de forces physiques ordinaires, et ne croient pas à une force vitale qui appartienne en propre aux êtres organisés. Ils regardent le corps, l’animal, comme l’ouvrage des forces moléculaires aussi bien que le sucre, par exemple, ou le cristal de roche. La chaleur animale, à leurs yeux, ne diffère point de la chaleur d’un foyer ordinaire, les mouvemens des organes de ceux d’une machine quelconque ; la correspondance entre le travail et la dépense de chaleur est la même dans l’un et dans l’autre cas. Les affinités chimiques ne sont point suspendues à l’intérieur de l’organisme ; ils n’admettent pas que la vie ait le pouvoir de les modifier. Si on leur montre dans ses ouvrages la marque évidente d’une intention, d’une puissance directrice qui fait passer la matière dans des moules inaltérables, qui s’en sert comme d’un instrument et le plie à ses desseins, ils demandent s’il n’y a pas aussi dans le simple cristal une force directrice qui construit avec les molécules ces petits édifices géométriques dont les formes sont aussi invariables, plus invariables même que les espèces végétales ou animales.