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La seconde moitié de l’existence si brillamment commencée d’Elliot s’écoula dans l’obscurité et dans une sorte de disgrâce dont il n’est point aisé d’expliquer l’origine. Il avait épousé après son divorce une ravissante jeune fille d’humble naissance, dont lady Minto ne nous donne ni le nom ni la nationalité. Peut-être cette mésalliance eut-elle pour résultat de lui rendre peu agréable le séjour de l’Angleterre et celui du continent. Quoi qu’il en soit, à son retour de Naples, il accepta le gouvernement d’un petit groupe des Antilles, et plus tard celui de la ville de Madras. Elliot passa onze ans sous ces climats meurtriers, et, quand il en revint, ce fut pour vivre dans une retraite absolue jusqu’à sa mort, qui arriva au mois de décembre 1830. Il avait vu mourir Louis XV, et Louis-Philippe monter sur le trône.

Ce fut une génération singulièrement vivace et féconde par toute l’étendue de l’Europe que celle dont les premières années de notre siècle ont marqué l’âge mur. Cette génération n’a pas produit seulement des hommes de guerre et des hommes d’état tels que peut-être le monde n’en avait point encore vu ; elle a enfanté aussi une race de politiques qui, sans s’imposer de si haut à l’admiration de la postérité, soutiennent aujourd’hui la comparaison avec les plus grandes figures de leur temps, de même qu’autrefois ils ont soutenu sans faiblir la lutte de l’esprit avec le génie. Elliot appartenait à cette race dont les Talleyrand, les Metternich, ont été les types les plus brillans, et bien que ce soit peut-être singulièrement le grandir, nous lui trouvons avec M. de Talleyrand de frappantes ressemblances : même esprit, même sang-froid, même détermination, même ténacité patriotique dans les momens de crise diplomatique. Un tact moins sûr, une volonté moins ferme, une vue moins perçante, ont empêché Elliot de s’élever aussi haut que l’ancien ministre de Napoléon. Peut-être aussi faut-il tenir compte de ce qu’en Angleterre la constitution se prête assez mal à l’emploi de ces talens moins vigoureux que déliés, en même temps que l’opinion publique ne voit pas de très bon œil leur élévation. Cependant cette opinion se laisse parfois fléchir, et la longue domination de lord Palmerston est un exemple de ses rares indulgences. Ajoutons qu’en parcourant l’étude complaisante consacrée naguère à la mémoire de M. de Talleyrand par un diplomate de l’école de lord Palmerston, on arrive bien vite à se convaincre que la race des Elliot n’est pas encore perdue en Angleterre.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.