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portrait, Christian s’était dégoûté d’elle au bout de quelques mois de possession, et il était tombé aux mains des plus obscurs favoris. Le seul d’entre eux qui ait laissé un nom dans l’histoire, c’est le malheureux Struensée. On connaît l’aventure de ce médecin du Holstein dont une cure heureuse opérée sur la personne de la comtesse de Rantzau fit la fortune, et qui durant deux années, maître de l’esprit du roi et du cœur de la reine, se servit de son immense pouvoir moins pour travailler à sa fortune personnelle que pour réaliser un peu au hasard en Danemark les réformes dont il avait puisé l’idée dans les ouvrages de Mably et de Montesquieu. On connaît aussi sa fin tragique et la mélancolique destinée de la jeune reine qu’il entraîna dans sa ruine, de cette Marie Stuart du nord dont le théâtre et le roman ont poétisé l’existence sans que l’histoire ait pu en toute sûreté de cause donner raison à ses adversaires ou tort à ses défenseurs. Le contre-coup de cette double catastrophe se faisait encore ressentir à Copenhague au moment où Elliot y fit son apparition. Incapable de se gouverner lui-même, le roi Christian VII n’avait échappé à la domination de Struensée que pour tomber sous la main de fer de sa belle-mère, la princesse Julie de Brunswick. Cette princesse, par un souvenir de haine contre Mathilde l’Anglaise, avait jeté le Danemark dans les voies d’une politique tout opposée à celle de la Grande-Bretagne. C’était grâce à elle que, durant la guerre d’Amérique, le Danemark était entré, avec la Suède et la Russie, dans cette grande ligue des neutres fondée sous les auspices de Catherine II, qui est demeurée célèbre dans l’histoire pour avoir proclamé la première, à l’encontre des tyranniques prétentions de l’Angleterre, les véritables principes du droit international des mers. Le Danemark, ouvertement hostile à l’Angleterre, formait avec les deux grandes puissances du nord une triple alliance dont le résultat pouvait être de fermer d’un jour à l’autre aux Anglais l’entrée de la Baltique. Dénouer les liens de ce faisceau redoutable était donc l’objet des recommandations pressantes que l’Angleterre adressait à ses représentons, et les dépêches qu’à une époque correspondante Fox, alors chef du foreign-office, échangeait avec lord Malmesbury, nous montrent qu’il considérait une alliance de l’Angleterre avec le Danemark et la Russie comme un des événemens les plus favorables à la politique qu’il dirigeait.

Depuis que l’autorité de la princesse de Brunswick avait succédé à celle de Struensée, l’aspect de la cour n’était pas moins profondément changé que celui des affaires. Durant le temps que Struensée avait passé au pouvoir, on eût dit qu’un rayon de la gaieté française, dissipant les brouillards du nord, était venu éclairer le ciel sombre de Copenhague. Struensée voulait tout réformer,