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satisfait. Elliot proteste qu’il ne l’entend point ainsi, à moins que Kniphausen ne consente à signer une lettre où il lui adressera des excuses de ses impertinences, et déclarera calomnieux les bruits par lui répandus au sujet du prétendu guet-apens. Après deux heures de pourparlers, le combat recommence. Cette fois Elliot est blessé. Avant qu’il n’ait eu le temps de riposter, Kniphausen s’écrie qu’il signera tout ce qu’on voudra. Elliot ne permet point qu’on examine sa blessure avant que tout soit terminé. Kniphausen signe, et veut ensuite embrasser Elliot. « Monsieur, lui dit celui-ci, je vous souhaite toute sorte de bonheur ; mais d’amitié entre vous et moi, il ne saurait y en avoir. » De retour à Berlin, on examine la blessure d’Elliot, qui ne laisse pas d’être assez grave, et le retient plusieurs jours au lit. « N’avais-je pas dit, s’écria le roi en apprenant cette histoire, qu’il ferait un excellent soldat. » Quelques semaines après, le divorce entre Elliot et sa femme était prononcé, et il reprenait seul la route de Copenhague.

Cette affaire si gaillardement menée lui fit en Europe beaucoup d’honneur. De nos jours, si galamment qu’un mari se fût conduit en pareille occurrence, l’idée ne viendrait assurément à personne d’aller lui faire compliment. On tiendrait que ce sont là de ces sujets délicats sur lesquels, si le silence est d’or, on ne peut même pas dire que la parole soit d’argent. On n’en jugeait pas ainsi au XVIIIe siècle, où la vie était aussi peu murée que possible. Les témoignages de sympathie et les félicitations vinrent chercher Elliot au fond du Danemark. Princes et princesses du sang lui écrivirent à l’envi les lettres les plus flatteuses, et ses amis lui faisaient savoir qu’il était pour la garnison de Potsdam l’objet d’un véritable enthousiasme. Quelque consolation qu’Elliot dût puiser dans cette sympathie et dans cet enthousiasme, les premiers temps de son séjour en Danemark n’en furent pas moins assez mélancoliques. Il fallut, pour dissiper sa tristesse, l’attrait d’événemens importans qui devaient bientôt passer sous ses yeux.


III
Something is rotten in the state of Danmarck[1]

dit un vers célèbre de Shakspeare. Si jamais ces sombres paroles exprimèrent fidèlement l’état de cette intéressante et malheureuse contrée, c’est bien durant le règne du roi Christian VII, l’époux de l’infortunée Caroline-Mathilde, le bourreau de Struensée. Ce prince

  1. Il y a quelque chose de pourri dans l’état de Danemark.