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pour avoir de ses nouvelles. Les lettres qu’il recevait de sa belle-mère n’étaient pas de nature à lui laisser beaucoup d’illusion sur le sort qui l’attendait. « Ma fille se porte bien, s’occupe de sa musique et bien plus longtemps de sa toilette. Je ne crois pas qu’elle vous aime comme par le passé. Non, mais je me flatte qu’elle a de l’amitié pour vous. Elle sentira qu’une femme n’est estimée qu’autant qu’elle est bien avec son mari. »

Le printemps étant arrivé, Elliot pressa sa femme d’accomplir sa promesse. La réponse à ses sollicitations fut une lettre par laquelle non-seulement elle déclarait ouvertement qu’elle ne s’expatrierait pas, mais encore elle inaugurait la guerre en se livrant à une série de récriminations dont le peu de fondement égalait la violence. Cette lettre donna fort à réfléchir à Elliot. « Sachant bien, dit Thiébault, que sa femme n’était pas capable d’en rédiger une où il y eût tant d’ordre, de suite et de développement, il fut dès lors convaincu qu’elle avait un aide. » Cette conjecture se trouvant encore fortifiée par divers avertissemens qu’un ami fidèle lui faisait parvenir, Elliot prit un parti énergique. Il quitta Copenhague sur un petit bâtiment marchand et se fit débarquer sur la côte de Prusse. De là, il partit seul à cheval pour Berlin, et descendit en secret chez l’ami dont les avertissemens l’avaient fait entrer en campagne. Celui-ci le mit au courant de la situation, et, gardant moins de ménagemens qu’il n’avait fait jusque-là, il alla jusqu’à lui donner le nom de l’homme que la chronique scandaleuse de Berlin accusait d’avoir pris sur Charlotte Elliot un ascendant illimité. C’était un de ses cousins, aide-de-camp du prince Henri, connu dans le monde sous le nom du beau Kniphausen. Il n’y avait pas de temps à perdre. Elliot songea d’abord à son enfant. Profitant de ce que sa femme avait été invitée à souper à la cour, il s’établit aux alentours de sa maison pour y guetter le retour de la voiture qui allait revenir vide. Il s’en empare malgré la résistance du cocher. Des chevaux de poste y sont attelés ; un domestique de confiance y monte avec l’enfant, et l’équipage ainsi, transformé prend à toute vitesse la route du petit port où Elliot était venu débarquer.

Cette première partie de l’entreprise heureusement terminée, Elliot entra dans la maison. Il commença par enfermer tous les domestiques dans une chambre, avec menace de traverser de son épée celui qui serait assez hardi pour aller donner l’alarme ; puis, pénétrant dans les appartemens de sa femme, il força son secrétaire et emporta tous ses papiers, qu’il passa la nuit à dépouiller. Une des premières pièces qui tomba sous ses yeux fut, écrit tout entier de la main du beau Kniphausen, le brouillon de la dernière lettre qu’il avait reçue de sa femme. Cette pièce convaincante et quelques