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l’alphabet se sont mises à mener tout à coup une vie désordonnée. Il paraît cependant que l’abondance des documens permet de trouver la clé de ces hiéroglyphes ; mais lady Minto s’est fait scrupule d’en trahir le secret. Les divertissemens de la cour tiennent aussi une grande place dans les lettres de Delta. Ils étaient des plus variés. On s’occupait beaucoup de musique en Bavière. De même qu’à Paris, où les querelles des gluckistes et des piccinistes divisaient si bien la société, il y avait à la cour deux partis, le parti des étrangers, des Italiens, qui étaient en possession d’une faveur séculaire, et le parti des patriotes, qui « brûlaient, pour emprunter les expressions du plus illustre d’entre eux, d’aider la musique nationale allemande à prendre son essor sur la scène. » A la tête de ces patriotes était Mozart, alors chef d’orchestre du prince-archevêque de Salzbourg aux gages de 27 francs par mois. A force de protection, il parvenait à faire représenter à la cour un opéra, la Finta Giardiniera, dont le succès était si grand qu’Elliot, jusque-là rebelle à la musique, sortait du théâtre converti, et dès le lendemain commençait de s’exercer sur la flûte ; mais lorsque Mozart demandait comme récompense une place de chef d’orchestre à la cour on lui répondait : « C’est trop tôt. Vous êtes trop jeune. Allez en Italie. »

Parfois on passait des plaisirs à la pénitence. Bon gré mal gré, il fallait prier : ordre de l’électeur. L’électrice parcourait à pied en procession les rues de la ville, suivie de toutes ses dames, qui, ce jour-là, s’habillaient à la mode des religieuses, mais tout en blanc, et sans négliger de combattre par un peu de rouge l’effet fâcheux que cet ajustement aurait pu produire sur leur teint. Puis la scène change de nouveau, et nous trouvons la cour tout en émoi de l’apparition inopinée d’une comédie où les scandales du palais et les vices de la noblesse étaient audacieusement flagellés. Cette comédie, dont le nom même est oublié aujourd’hui, atteignait du premier coup à une popularité que le Mariage de Figaro devait à peine obtenir en France quelques années plus tard. L’enthousiasme croissait à chaque représentation. Le parterre interpellait les acteurs. « C’est vrai, s’écriait l’un. — On m’a fait cela, » disait l’autre, et les applaudissemens suspendaient la marche de la pièce. On prenait bien le parti de défendre toute nouvelle représentation ; mais le coup était porté. Aussi pendant quelque temps les réformateurs recouvraient crédit. Delta tombait dans le désespoir. « Des réformes, grands dieux ! écrivait-elle ; mais que fera-t-on de nous ? »

Au sein de cette vie agitée et brillante, le dégoût envahissait cependant l’âme d’Elliot, et ses regards, ses pensées, se tournaient vers la mère-patrie. Tantôt il formait avec quelques-uns