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d’Elliot dut peser lourdement sur lui pour le déterminer à accepter cet emploi inespéré, et à partir pour Munich, où l’Angleterre se trouvait depuis longtemps sans représentant. Il s’en fallait de beaucoup alors que les chancelleries fussent encombrées de ce personnel passablement oisif et inutile qui y végète aujourd’hui. Le ministre composait souvent à lui seul toute la légation, et, s’il jugeait à propos d’emmener avec lui quelque auxiliaire, c’était à son choix et à ses frais. C’est ainsi que le prédécesseur d’Elliot à Munich n’avait auprès de lui qu’un petit garçon qui lui servait de copiste. Elliot lui-même s’adjoignit comme secrétaire un certain M. Liston, son ancien précepteur. C’est dans les lettres de ce serviteur dévoué, auquel il laissait volontiers la tâche de correspondre avec sa famille, que nous allons trouver le journal fidèle de la vie de son maître. Avant d’ouvrir cette correspondance, jetons d’abord un coup d’œil sur l’intérieur de cette cour où Elliot allait faire ses débuts diplomatiques.

L’ennuyeux baron de Pöllnitz, dans les lettres sèches et pédantesques qu’il a laissées, signale déjà en 1728 la cour de Munich « comme étant sans contredit la plus galante et la plus polie de l’Allemagne, » et il s’appesantit longuement sur les plaisirs qu’il y a goûtés. Les années n’avaient pas amendé cette cour, et au moment où Elliot y fit son apparition, c’est-à-dire en 1774, elle avait encore en Europe renom d’élégance et de joyeuseté. L’électeur Maximilien était un prince cultivé et d’humeur agréable, mais d’une frivolité incurable pour tout ce qui concernait le gouvernement de ses états. Comme Louis XV, il nourrissait deux passions dominantes, la chasse et la galanterie, et aussi bien à l’une qu’à l’autre il ne se faisait point faute de donner ouvertement satisfaction. Mme de Torring-Seefield, femme d’un des plus grands seigneurs du pays, était l’objet de son culte assidu. C’était elle qui régnait véritablement à la place de l’électrice, princesse disgraciée de la nature, à laquelle son mari ne témoignait qu’indifférence et dédain. Cela n’empêchait pas du reste qu’on ne lui rendît extérieurement les plus grands honneurs. Sa suite ne comprenait que des demoiselles de noble maison, qui, n’étant point surveillées de près, ne se montraient pas toujours très soucieuses de leur vertu, et conservaient souvent leur titre de filles d’honneur longtemps après qu’elles avaient perdu tout droit à cette dénomination. L’électeur n’ayant pas d’enfans, l’héritier présomptif était le prince Maximilien de Deux-Ponts, qui n’aspirait nullement comme Louis XVI à être appelé le Sévère. Sa passion pour une belle jeune femme de la cour et les traverses que lui opposait un mari jaloux étaient le sujet de toutes les conversations. On peut penser que le reste de la société