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l’heure, il avait parcouru l’Europe, il avait vu Paris, Londres, Berlin ; il avait interrogé les maîtres de la science et de la politique ; son esprit s’était initié aux conditions d’une société prospère, aux lois du progrès et de la culture libérale ; la génération qui souffrait sous Milosch était rassurée par le prince Michel. On savait qu’il désapprouvait les procédés tyranniques du gouvernement, on savait qu’ayant essayé en vain de ramener le prince à des idées plus justes il avait résolu de se tenir à l’écart, ne voulant ni contredire son illustre père, ni trahir sa conscience. Au mois d’octobre 1859, M. Kanitz fut témoin d’un fait très caractéristique. Il se trouvait depuis peu de temps en Serbie lorsque le prince Michel, après avoir accepté le commandement supérieur des forces militaires à Kragoujevatz, donna sa démission pour les raisons que nous venons de dire, et s’en revint à Belgrade. Ce retour fut une fête, un triomphe, et M. Kanitz, décrivant dans un journal allemand cette explosion cordiale des sentimens du pays, ajoutait : « Plus les mesures violentes du vieux prince assombrissent l’horizon de la Serbie, plus se dégage brillante l’image du prince Michel, étoile d’espérance, promesse d’avenir. Milosch gouverne en despote, sans souci du sénat ni de l’assemblée. Toute instruction lui est suspecte, soit que l’étranger l’ait apportée, soit qu’elle ait une origine nationale ; il n’aime que les vieilles choses, les coutumes des temps de barbarie. Il a déclaré la guerre à l’intelligence. Sans elle pourtant, l’état le plus fort ne se soutiendrait point, et son secours est particulièrement nécessaire à un état qui poursuit une politique de propagande chez des peuples de même race. Ce principe des nationalités, qu’on porte si haut aujourd’hui, n’est pas assez puissant pour entraîner même des peuples frères vers un état où règne le despotisme pur. Si le prince Milosch aime sérieusement son pays, qu’il se contente de remplir la place d’honneur dans toute une période de l’histoire des Serbes, période glorieuse dont il a été l’âme et la vie ; qu’il n’oublie point qu’entre cette période et l’heure présente bien du temps s’est écoulé, que des germes nouveaux ont été confiés aux sillons, que le pied pesant du despotisme les écraserait, qu’il faut les cultiver délicatement pour les faire épanouir. Ce sera la tâche d’une autre force, de la force intelligente et libérale après la force guerrière et despotique… Oui, l’accueil que le prince Michel a reçu à Belgrade à son retour de Kragoujevatz a une signification profonde, et, nous en avons la conviction, le jeune prince Michel remplira toutes les espérances que le parti du progrès a placées sur sa tête. »

On voit clairement ici les deux périodes de l’histoire de Serbie au XIXe siècle, d’un côté la période héroïque et barbare, de l’autre