Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ancien libérateur de 1815, le dictateur tombé en 1839, le vieux Milosch, dont le nom signifiait toujours affranchissement des Serbes, indépendance et fierté nationales. Il y eut dans la journée du 24 quelques démonstrations insignifiantes en faveur du prince déchu ; ses partisans, ses créatures, un petit nombre de sénateurs, essayèrent de relever sa cause. Ces vains efforts ne firent que mettre en relief l’unanimité du mouvement. Le sénat ne tarda guère à se déclarer d’accord avec l’assemblée. Il fallut bien que le prince, malgré la froide obstination de sa résistance, se résignât à signer son abdication et à quitter la forteresse.


IV

Le sens de la révolution accomplie si paisiblement à Belgrade le 23 décembre 1858 était tout entier dans ces paroles de la skouptchina : « nous nommons prince de Serbie Milosch Théodorovitch Obrenovitch, avec l’hérédité à lui accordée autrefois par la Porte-Ottomane. » Le prince Alexandre avait laissé amoindrir entre ses mains les droits de la principauté ; on rappelait Milosch pour relever le trône et la nation. En attendant sa réponse, l’assemblée, qui s’était déclarée investie elle-même du pouvoir souverain, avait institué une administration provisoire, à la tête de laquelle était M. Garachanine. Le premier acte du gouvernement fut de notifier la révolution au sultan et à Milosch. Le 27 décembre, deux adresses furent signées par les quatre cent trente-sept députés ; l’une, adressée à Abdul-Medjid, racontait les derniers événemens et réclamait l’investiture pour l’élu de l’assemblée avec l’hérédité dans la ligne masculine ; l’autre, destinée à Milosch, l’informait du vote de la nation, et lui annonçait le départ d’une députation qui allait le chercher à Bucharest.

Milosch ne pouvait hésiter devant cet appel de la Serbie. Malgré ses soixante-dix-huit ans, il en ressentit une joie toute juvénile. N’était-ce pas ce qu’il attendait depuis 1839 ? Du fond de l’exil, à Vienne ou à Bucharest, il avait sans cesse les yeux sur les Serbes, il suivait la marche des affaires, épiait les mouvemens de l’opinion, guettait les circonstances propices, et, persuadé que son jour viendrait, il éprouvait pourtant une impatience fébrile à voir les heures si lentes. Jamais il n’avait pu se résigner à l’inaction. Dès le lendemain de sa chute, quand les passions soulevées contre lui étaient encore si furieuses, il avait conçu l’ambition de reprendre son rôle sur un plus vaste théâtre. Affranchir les chrétiens de Bulgarie et de Bosnie, rassembler les Serbes dispersés dans les provinces turques, réaliser le rêve de ses plus audacieux compatriotes, rétablir