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Turquie avait dû s’interposer entre les juges et les justiciables afin de rétablir les garanties du droit ! Les diplomates, qui s’efforçaient d’étouffer en Serbie toute cause de trouble, firent une chose plus importante encore ; ils décidèrent deux des chefs du parti national, M. Élia Garachanine et le vieux Voutchitch, à se rapprocher du prince Alexandre. Le prince, qui ne les aimait point, dut accepter leurs services ; M. Garachanine eut le ministère de l’intérieur, M. Voutchitch la présidence du sénat.

Il n’y avait pas de nom plus populaire alors que celui de M. Élia Garachanine ; il représentait à la fois les idées de légalité que la Serbie voulait substituer aux caprices de la dictature et le principe de l’indépendance nationale, que l’on s’indignait de voir si mollement défendu. Son premier soin fut de définir plus nettement les rapports du prince et du sénat ; dans ce travail, les prérogatives du prince furent diminuées, et l’Autriche eut beau s’opposer de toutes ses forces à cette modification de la loi de 1838, le gouvernement turc y consentit. N’est-il pas singulier de voir l’Autriche soutenir ici les prérogatives du prince, comme si le prince était lui-même incapable de prendre sa cause en main ? Cessez de vous étonner : l’Autriche défend sur le trône de Serbie l’homme qui seconde la réaction autrichienne en s’obstinant à ne pas convoquer la skouptchina. Sur ce point, M. Garachanine essaya vainement de vaincre sa résistance ; il fallut que des événemens graves, faisant éclater à tous les yeux la responsabilité si lourde assumée par le prince, l’obligeassent à des concessions tardives.

D’après le hatti-chérif de 1830, les forteresses de la frontière devaient rester aux mains des Turcs. On a vu dans nos précédentes études qu’une interprétation très fausse du texte, interprétation infligée au prince Milosch par le ressentiment de la Porte et le mauvais vouloir de la Russie, avait autorisé les Turcs à garder non-seulement la forteresse de Belgrade, mais une partie de la ville. Turcs et chrétiens se trouvaient constamment en face les uns des autres. De là des complications continuelles et souvent de périlleux conflits. Tous les voyageurs qui ont visité depuis cette date les contrées du Danube, M. Saint-Marc Girardin en 1836, M. Blanqui en 1841, M. Siegfried Kapper en 1849, ont signalé les embarras et les périls d’une loi qui donnait aux Turcs les forteresses, aux Serbes les campagnes et les villes. « Au premier coup d’œil, dit M. Saint-Marc Girardin, les Turcs qui sont à Belgrade, à Semendria, à Orschova, semblent un corps d’occupation ; ils ont l’apparence de vainqueurs et de maîtres. En fait, ce sont des prisonniers et des otages. » Et après les avoir peints vivement en quelques traits, après les avoir montrés « enfermés dans leurs forteresses, ne pouvant rien posséder au dehors, réduits à la plus profonde misère, privés de ces fiefs, de