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loi qui, partageant le pouvoir entre le prince et le conseil, établissait de l’un à l’autre des rapports mal définis. Qu’il y eût sur ce point des réformes à faire, les amis de la cause serbe en étaient persuadés ; seulement le prince Kara-Georgeviteh était moins en mesure qu’un autre de tenter cette réforme, lui qui depuis dix ans refusait de convoquer l’assemblée nationale. Se défiant du peuple, hostile au sénat, sur qui s’appuyait-il ? On le voyait trop bien, sur les influences extérieures. C’était l’Autriche qui dirigeait le gouvernement serbe. Fort de cet appui, le prince n’hésita point à se débarrasser des sénateurs. Ceux qui étaient restés en dehors du complot furent pressés de donner leur démission sous peine d’être arrêtés comme complices ; la plupart obéirent, et le procès commença. On a vu plus haut qu’un des actes les plus honorables du gouvernement du prince Alexandre était la promulgation de certaines lois qui mettaient fin à l’arbitraire. A quoi bon ces lois sagement réglées, si l’on n’en tenait pas compte ? Les accusés du complot tramé contre le prince Kara-Georgevitch au mois d’octobre 1857 ne furent protégés par aucune des garanties qui venaient d’être données à la justice. L’instruction demeura secrète : point de débats publics, nul contrôle de l’opinion. Était-on bien sûr que les agens du prince ne leur eussent pas arraché des aveux par des privations et des violences ? Ces doutes circulaient dans le pays, de sourdes colères s’éveillaient, et quand on sut que les accusés étaient condamnés à mort, peu s’en fallut que Belgrade ne fût ensanglantée par l’émeute. Sans l’intervention des puissances signataires du traité de Paris, la lutte était inévitable. Les puissances demandaient que l’exécution de la sentence fût au moins suspendue, et bientôt un ordre exprès de la Porte obligea Kara-Georgevitch de commuer la peine de mort en celle des travaux forcés à perpétuité. Quelques jours après, on vit les hommes les plus considérables de la Serbie, les fers aux pieds et aux mains, vêtus de la livrée du bagne, traverser les rues de Belgrade sur des charrettes. À ce spectacle, on le pense bien, l’émotion redoubla. Sous quel régime vivait-on, puisque les lois étaient ainsi violées ? Si Milosch Obrenovitch agissait en despote, du moins était-ce un despote serbe, dévoué à la cause serbe. Pouvait-on supporter plus longtemps ce personnage équivoque, pacha turc ou préfet autrichien, qui, pour conserver son poste, sacrifiait de jour en jour plus visiblement l’indépendance et les lois de la principauté ? La Porte-Ottomane, qui ne voulait point de révolution à Belgrade, intervint encore pour calmer les esprits. Elle envoya un commissaire, Éthem-Pacha, qui se fit remettre toutes les pièces du procès ; c’est à la suite de cette révision que les accusés furent affranchis des travaux forcés et condamnés simplement à l’exil. Ainsi, dans un état chrétien, la