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titre de prince des Serbes ! Le fils de Kara-George avait été marié à une Nenadovitch. C’était cette famille, si puissante de 1806 à 1813, infidèle à son poste au moment de la grande déroute, réfugiée dans les principautés roumaines, revenue en Serbie pendant le règne de Milosch, mais privée alors de toute influence, qui prenait enfin sa revanche sous Kara-Georgevitch, grâce à la faiblesse du prince. Ce mariage la rapprochant du trône, elle en occupait toutes les avenues. Chez un peuple jeune, plein de sève, où le patriotisme éveille à la fois l’ambition et le talent, cet abandon des principaux emplois aux membres d’une seule famille était une insulte de tous les jours. Il y avait usurpation et tyrannie. On étouffait. Ajoutez à cela l’attitude si humble de Kara-Georgevitch en face de la réaction autrichienne. C’était le moment où l’Autriche, à peine remise des secousses de 1848, prétendait soumettre tous les peuples de l’empire à une centralisation inflexible. Slaves et Hongrois subissaient le même joug. Les Serbes de Stratimirovitch, les Croates de Jellachich, naguère encore les auxiliaires de l’Autriche, étaient courbés sous le sceptre des Habsbourg aussi bien que les Magyars du comte Széchenyi. Pour imposer un système si dur, si révoltant, un système, on l’a bien vu à Sadowa, si funeste à l’Autriche elle-même, il fallait empêcher que la vie politique ne fît trop de bruit sur les frontières chez des peuples de même race. Les Serbes de Turquie donnaient un mauvais exemple aux Serbes d’Autriche. La voïvodie, l’Esclavonie, la Sirmie, le Banat, toutes ces provinces habitées par des Serbes ne sont séparées de la principauté que par la Save et le Danube ; le libre développement de la principauté, cette lutte constante avec le suzerain, ce perpétuel qui-vive, ces skoupickinas qui élevaient et déposaient les chefs du peuple, toutes ces scènes d’une vie nationale et indépendante, ne serait-ce pas là pour les Serbes autrichiens un douloureux contraste, c’est-à-dire une provocation incessante ? Le cabinet de Vienne s’empara du prince Alexandre Kara-Georgevitch, et pendant une période de dix années il n’y eut pas une skouptchina en Serbie. Le congrès national consacré par les siècles, les libres rassemblemens dont l’usage s’était perpétué jusque sous le joug des Turcs, la skouptchina, qui avait entretenu la vie nationale et sauvé le pays, la skouptchina des Douchan et des Lazare était abolie par un fils de Kara-George ! On murmura d’abord, on finit par conspirer.

Le 9 octobre 1857, la police découvrit un complot qui menaçait la vie du prince. Plusieurs sénateurs, le président même du sénat, étaient au nombre des conjurés. Dès les premières arrestations, le prince voulut profiter de la crise pour supprimer le sénat, dont la surveillance l’inquiétait. C’était toujours ce même sénat organisé contre Milosch par le statut de 1838 ; c’était toujours cette même