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volontairement. Le ministre s’y refusa ; le prince fut obligé de consommer lui-même sa honte et de destituer sous la menace des Russes l’homme qui faisait le plus d’honneur à son gouvernement.

Le sentiment national des Serbes fut profondément blessé. Le sénat rédigea une adresse respectueuse, mais dont les formules officielles laissaient percer une protestation très vive contre l’acte de faiblesse qui affligeait le pays. « La destitution de M. Élia Garachanine, y lisait-on, enlevé au poste supérieur où l’avait appelé la confiance de votre altesse et dans lequel il s’était distingué par tant de qualités éminentes, a causé au sénat la plus profonde douleur… Le sénat aurait tort, s’il doutait le moins du monde de la sollicitude de votre altesse pour la défense et le maintien de ces droits précieux que le peuple serbe a acquis au prix de tant de sacrifices. Votre altesse, le sénat en est convaincu, comprend mieux que personne combien le peuple serbe serait consterné, combien il serait frappé dans ses sentimens légitimes, dans sa dignité nationale, si son gouvernement fléchissait sur la question du respect et de la défense des droits qui forment la base de notre existence politique. Le sénat sait bien que votre altesse, dans sa haute sagesse, a déjà pris et est toujours prête à prendre les mesures nécessaires pour préserver notre pays et ses droits de la moindre atteinte, de la moindre violation ; il ne vient donc pas lui proposer des mesures pour la solution de ces difficultés extraordinaires, il vient uniquement l’assurer que, d’accord avec elle, d’accord avec la nation entière, il sent la nécessité de prêter à notre constitution et à nos droits nationaux l’appui dont ils ont besoin, et qu’il est prêt à soutenir votre altesse unanimement, par ses actes comme par ses paroles, dans tout ce qu’elle jugerait bon d’entreprendre. » Ne devine-t-on pas ici sous la forme d’un encouragement la plus énergique des remontrances ? Le prince feignit de n’y voir qu’un témoignage d’adhésion. « Je suis heureux, répondit-il, de me sentir entouré d’un conseil si dévoué au bien du pays. » Quant au gouvernement russe, il comprit bien que cette solennelle démarche du sénat était la ruine de ses prétentions. S’il avait réussi à écarter M. Garachanine, il n’était point parvenu à réduire son parti au silence. En même temps que le sénat envoyait cette adresse au prince, il votait pour le ministre destitué une pension égale à son traitement.

Ces avertissemens ne furent point perdus. Le prince avait été mis en demeure de défendre les droits du pays, il conforma sa politique à son devoir. Qu’on fasse honneur de sa conduite aux admonitions de l’esprit public, nous le voulons bien ; encore faut-il reconnaître que, une fois averti et redressé, il marcha d’un pas sûr à travers les difficultés de la crise orientale. Il avait d’abord cédé à