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à l’ouest, vers la Transylvanie et la Croatie, habite, mêlée à des Magyars, à des Allemands, à des Roumains et à des Croates, une population assez inculte, mais vigoureuse et guerrière, les Rasciens ou Serbes hongrois[1]. » Ce sont ces Rasciens ou Serbes hongrois qui, au lendemain de notre révolution de février, dès les premiers coups portés à l’Autriche de M. de Metternich, se levèrent contre la Hongrie en réclamant leur indépendance. L’agitation avait commencé au mois d’avril 1848 ; le 13 mai, une assemblée nationale serbe fut convoquée à Karlovitz par l’archevêque métropolitain Joseph Raïachitch. Après une délibération sur la place publique, on vota d’enthousiasme les décisions suivantes : rétablissement de la dignité de patriarche conférée à Joseph Raïachitch, rétablissement de la dignité de voïvode conférée au colonel Etienne Schuplikatz, proclamation de l’indépendance des Serbes sous le sceptre de la maison d’Autriche, délimitation de leur territoire sous le titre de voïvodie serbe, union politique de cette voïvodie avec le royaume de Croatie, Slavonie et Dalmatie. Cette déclaration de droits était un appel à des principes que la Hongrie devait respecter, puisqu’elle les réclamait pour elle-même. Les Magyars, croyant voir là une intrigue autrichienne, une manœuvre de la contre-révolution, s’apprêtèrent à répondre par les armes. Un général hongrois chargé de rétablir l’ordre sur le Danube eut l’imprudence de dire à des envoyés de la diète de Karlovitz : « Je ne connais pas de nation serbe sur la carte de Hongrie. » Cette malheureuse parole mit le feu aux poudres. On niait la nation serbe, elle se leva. « Des volontaires, écrit M. Iranyi Daniel, accoururent des confins militaires, et même, — chose fort grave diplomatiquement, — de la principauté de Serbie. »

Les historiens hongrois ne peuvent pardonner aux Serbes de la principauté leur intervention dans les affaires hongroises. Ils oublient que ces affaires hongroises étaient en même temps des affaires serbes. Si la Hongrie a de bonnes raisons pour défendre l’unité de sa constitution politique, les Serbes ont bien le droit de chercher à rétablir leur unité nationale. Pourquoi reprocher injurieusement aux Serbes ce que la Hongrie faisait à son point de vue ? Pourquoi crier à la trahison, à la déloyauté ? Il n’est pas une des invectives des Hongrois contre les Serbes qui n’ait été à cette époque répétée par l’Autriche contre la Hongrie. Si les règles diplomatiques ont été violées, c’est un tort grave sans doute ; ces scrupules toutefois ont quelque chose d’étrange, si l’on se rappelle qu’il s’agit d’un temps de révolution, et que chez les Serbes comme chez

  1. Histoire politique de la révolution de Hongrie, par MM. Daniel Iranyi et Charles-Louis Chassin. Paris, 1850, t. Ier, p. 237.