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divisions de sa famille, la méfiance croissante de la nation, les intrigues des anciens régens si imprudemment rappelés, la colère du gouvernement turc, qui accusait les Serbes d’entretenir la révolte des Bulgares, vous comprendrez quels périls menaçaient la jeune principauté. Obligé de se défier de sa mère, le prince ne comptait guère plus sur ses ministres. Il ne pouvait cependant se séparer d’eux quand la Porte lui enjoignait de les destituer ; il les conservait donc par point d’honneur, et les ministres continuaient d’exciter le mécontentement du pays par des réformes inopportunes. Il arriva un jour que le sentiment public se trouva d’accord avec la politique ottomane pour demander le changement du ministère. C’est ce moment qu’attendait Voutchitch pour venger sa défaite ; celui que la skouptchina de 1840 avait chassé comme un traître à la patrie devient en 1842 le représentant de la cause populaire. Il parcourt les districts, excite les plaintes, envenime les griefs, et, sans parler de révolution, provoque un grand rassemblement du peuple qui obligera le prince à renvoyer ses ministres. Changer l’administration, il ne demande pas autre chose ; qui donc refuserait de le suivre ?

On le suivit en effet ; le rassemblement populaire eut lieu sur presque tous les points du territoire. Voutchitch était au centre, à Kragoujevatz, avec un certain nombre de canons ; ses amis occupaient l’est et l’ouest. A peine informé de ce mouvement, le prince Michel monte à cheval, et à la tête d’un faible détachement se dirige sur Kragoujevatz. Sa mère est auprès de lui. Partout où ils passent, des milices, des paysans, les gens de là montagne, viennent grossir la troupe du prince. Est-ce une foule hostile ? Non certes. Amie ? Pas tout à fait. C’est surtout une foule curieuse. On apprend chemin faisant que les insurgés ont été battus dans plusieurs districts et que leurs chefs ont passé la frontière. On avance toujours en se recrutant de village en village. Le prince avait près de 10,000 hommes autour de lui quand il arriva devant Kragoujevatz, où Voutchitch s’était retranché avec 2,000 soldats et de l’artillerie. Voutchitch lui envoie une députation ; il mettra bas les armes dès qu’on lui accordera ces trois choses : destitution des ministres, diminution de l’impôt, convocation d’une assemblée nationale. Si Michel eût consenti, les cris de révolte se seraient changés aussitôt en acclamations enthousiastes, c’eût été comme un nouveau règne, un règne débarrassé de ses entraves et revêtu d’une consécration meilleure. Il ne crut pas que l’honneur lui permit de céder à une requête présentée les armes à la main 5 n’avait-il pas d’ailleurs autour de lui une armée populaire accourue pour le soutenir ? Cette illusion ne dura guère. Pendant que Voutchitch négociait, ses troupes avaient eu le temps de s’entendre avec les paysans dont se composait l’armée du prince. Au premier coup