Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auxiliaires des Serbes autrichiens animés d’intentions excellentes, mais dont les empressemens indiscrets firent souvent plus de mal que de bien. C’est le défaut des réformateurs de ne pas tenir compte du temps. On ne transforme pas un peuple à coups de décrets. Encourager l’instruction, rien de mieux ; vouloir bon gré mal gré conduire à l’école tous les habitans d’un pays encore à demi sauvage, c’est un zèle excessif et irritant. Bien des bévues semblables étaient commises chaque jour. Le jeune prince Michel, qui approuvait des idées justes, ne pouvait en surveiller l’exécution. L’inexpérience d’un prince de dix-huit ans donnait beau jeu à des agens prétentieux et brouillons. C’était fort bien fait assurément de travailler à la régénération de l’église, d’assurer au clergé séculier une existence plus digne, d’obliger les popes à ne plus vivre comme autrefois de la vie du paysan et du mercenaire ; élever ces pauvres gens pour qu’ils fussent à leur tour les instituteurs du peuple des campagnes, la tentative était digne d’éloges. Rien de mieux encore que d’examiner de près toutes les misères et de calculer toutes les ressources du pays ; mais pourquoi compromettre de si bonnes choses par des procédés pédantesques ? Pourquoi dresser ce cadastre avec une solennité inquiétante ? Pourquoi effrayer le libre paysan des forêts par l’appareil de la statistique ? Surtout était-ce le moment d’augmenter l’impôt ? Et que dire des financiers qui, pour enrichir le trésor public, ne craignirent pas de modifier, si légèrement que ce fût, la valeur consacrée des monnaies ? La plupart des réformes administratives accomplies par les ministres du jeune prince semèrent le mécontentement et la défiance dans les rangs de cette population rustique jusque-là le meilleur appui des Obrenovitch.

Les amis se refroidissant, les ennemis reprenaient de l’assurance. Les exilés de 1840 avaient un certain nombre de partisans qui s’apitoyaient sur leur sort et réclamaient leur grâce. Soit pitié, soit faiblesse, le doux prince Michel les rappela en Serbie. On dit qu’il espéra par cette mesure calmer l’hostilité persistante de la Porte ; il ne réussit qu’à introduire au sein de la place les plus acharnés des hommes qui en faisaient le siège. Son excuse, c’est en effet cette hostilité de la Porte, hostilité entretenue malgré lui par les personnes qu’il respectait le plus. Une insurrection très menaçante venait d’éclater en Bulgarie (1841). Les chrétiens de Vidin, de Nissa et des contrées environnantes s’étaient soulevés contre les pachas, en appelant à grands cris leurs frères du pays serbe. La Turquie ne pouvait ignorer que la mère du prince Michel, l’ardente Lioubitza, avait encouragé par tous les moyens la révolte des raïas de Bulgarie, soit qu’elle vît dans cette levée d’armes une occasion de ramener le prince Milosch sur le théâtre des événemens, soit que sa ferveur chrétienne ne lui permît pas de rester indifférente aux appels