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De quelles ressources disposait le jeune prince pour faire face à tant de périls ? C’était un esprit grave, attentif, naturellement droit et bienveillant. Né en 1823 à Kragoujevatz[1], il avait passé son enfance tantôt dans sa ville natale, où résidait son père, tantôt à Smédérévo, où sa mère aimait à se retirer. Plus tard, confié à un précepteur russe nommé Zoritch, puis en 1837 à un jeune Grec appelé Ranos, il avait mis sérieusement à profit les leçons de ses maîtres. Il allait parcourir l’Europe pour achever son éducation quand son père fut renversé du trône. A vrai dire, c’était encore un enfant. Qu’on se le représente, au mois de mars 1840, arrivant de Constantinople à Belgrade et apprenant tout à coup les dispositions de ce bérat d’investiture que le divan vient de lui accorder. Les chefs de l’intrigue, c’est-à-dire les ministres mêmes qui l’accompagnaient, lui avaient laissé ignorer les termes du diplôme tant qu’il n’avait pas quitté le sol turc. A peine arrivé en Serbie, il apprend tout, il sait qu’il n’a droit qu’à une souveraineté nominale, et que les ennemis de sa race ont le pouvoir en main. Déjà on vient d’éloigner sa mère. Le voilà seul au milieu des hommes qui veulent le perdre. Si le libérateur de 1815, si le chef à la main de fer a succombé, que fera un enfant sans titre, sans force, sans expérience ?

C’est peut-être sa faiblesse même qui l’a sauvé tout d’abord, je dis sa faiblesse politique unie à l’innocence de son âge et à une certaine fermeté de bon sens. Milosch eût été mieux défendu, si le souvenir de ses violences n’eût déconcerté un grand nombre de ses amis en même temps que les remords paralysaient son bras. Rien de pareil chez le prince Michel ; sa loyauté, sa candeur, éveillèrent immédiatement les sympathies. Le jeune prince ayant protesté dès le premier jour contre les tuteurs que lui donnait la Porte, la Serbie se leva pour le soutenir. C’est le 15 mars 1840 qu’il avait fait son entrée à Belgrade ; la skouptchina réunie par ses ordres quelques semaines après dirigea les accusations les plus graves contre les régens : elle demanda qu’ils rendissent leurs comptes, affirmant que 8 millions de piastres manquaient aux caisses de l’état ; elle demanda aussi que le gouvernement fût transporté de Belgrade à Kragoujevatz, afin d’arracher le prince à l’influence du pacha. C’était dire que Voutchitch et Petronievitch se mettaient volontiers

  1. L’Almanach de Gotha fixe la date de la naissance an 4 septembre 1825 ; des documens que nous avons lieu de croire plus exacts le font naître deux ans plus tôt, en 1823. Même, selon certains voyageurs, c’est en 1822 que serait né le prince Michel. M. de Pirch, officier prussion qui visita Milosch en 1829, nous dit que son fils Michel avait sept ans à cette date ; M. Blanqui, en 1841, l’appelle un jeune homme de dix-neuf ans. Nous adoptons comme plus probable la date de 1823 ; il est certain en tout cas, malgré l’Almanach de Gotla et les écrivains qui l’ont suivi, que le prince Michel avait deux ou trois ans en 1825.