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européenne croit que la Serbie est engagée désormais en des voies régulières qui chaque jour la séparent davantage de son ancien chef ; Milosch lui-même, dans l’ardeur qui le dévore, semble par momens tourner d’un autre côté son ambition aventureuse ; regardez-y de plus près : ni la Serbie n’a renoncé à Milosch, ni Milosch n’a renoncé à la Serbie. Son souvenir domine les événemens. Avant qu’une période nouvelle, période de paix, de labeurs, de légalité, succède d’une manière utile aux œuvres puissantes, mais désordonnées, de la dictature des premiers jours, il faut que la réconciliation soit faite entre le dictateur et la nation, il faut que Milosch soit revenu mourir sur son trône. Telle est de 1839 à 1860 l’histoire que nous avons à retracer. Ce sera le dernier de ces tableaux.


I

Milosch ayant abdiqué le 13 juin 1839, son héritier, aux termes du hatti-chérif de 1830, était son fils aîné, le prince Milan. Hélas ! le prince Milan, dans la fleur de la jeunesse, souffrait d’une maladie qui ne laissait aucune espérance. Ramené de Semlin à Belgrade par sa mère Lioubitza, il occupa sans le savoir le trône d’où, son père venait d’être renversé. Milan Obrenovitch II, c’est ainsi qu’on l’appelait, ignora toujours sa dignité ; il ignora même la révolution du mois de juin ; la moindre émotion l’aurait tué. Il demandait à voir son père ; on lui disait qu’il était en voyage et ne tarderait pas à revenir. Pendant ce temps, une régence instituée par la Porte avait pris le gouvernement. Elle se composait des trois hommes qui avaient le plus contribué à la chute de Milosch : Abraham Petronievitch, Thomas Voutchitch et le frère même du dictateur, le faible et ambitieux Éphrem. Un mois ne s’était pas encore écoulé que le jeune malade expirait dans les bras de sa mère (8 juillet 1839). Il avait à peine vingt et un ans.

A qui revenait le trône ? Évidemment au second fils de Milosch, au prince Michel, qui allait accomplir sa seizième année. Ce ne fut pas l’avis des deux régens Voutchitch et Petronievitch. En renversant Milosch, ils avaient voulu enlever le trône à sa famille, et s’étaient arrêtés à contre-cœur devant le hatti-cherif de 1830. Le jeune Milan étant mort, n’y avait-il pas moyen d’équivoquer avec le texte du hatti-chérif ? Le sultan n’avait mentionné que l’ordre de primogéniture, disaient les deux régens ; le prince Michel n’avait donc pas de droits à invoquer, et le peuple serbe devait être appelé de nouveau à élire son souverain. Ce fut le signal d’une scission entre les deux régens hostiles aux Obrenovitch et le frère de Milosch ; Éphrem comprit enfin qu’on s’était servi de son nom pour détrôner plus aisément le fondateur de la principauté serbe, et qu’il