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sens, lorsqu’une fois ils ont pris un parti, et combien il est aisé en logique, aussi bien qu’en morale, de voir la paille dans l’œil de son voisin sans voir la poutre qui est dans le sien. M. Guizot est on ne peut plus sévère pour la philosophie ; il la déclare impuissante, remplie d’hypothèses chimériques, obscures, contradictoires. Il déclare qu’aucun philosophe ne l’a jamais satisfait sur le problème du mal. Ainsi la doctrine de l’épreuve, la doctrine de l’optimisme, les belles et profondes considérations de Platon, de Leibniz et de Malebranche sur la question du mal, tout cela mérite à peine l’honneur d’une discussion. Prenons au contraire la doctrine du péché originel : quelle clarté ! quelle simplicité ! quelle consolation pour le cœur ! quelle délivrance pour l’esprit ! Comme Dieu est déchargé de la responsabilité du mal ! comme sa bonté et sa justice sont mises à l’abri de toute objection ! En vérité, je comprends que l’on s’écrie avec saint Paul : « Le pot n’a pas le droit de dire au potier, pourquoi m’as-tu fait ? » Je comprends le silence, l’humiliation de l’esprit et de l’âme devant des problèmes insondables. Je comprends l’impérieux besoin d’espérer et de croire acceptant l’impossible, pour ne pas dire plus ; mais nous présenter cet impossible comme la lumière, c’est nous demander plus que ne peut accorder un esprit libre, qui n’a aucun goût malsain pour la révolte, qui ne peut cependant, sans abdiquer, renoncer à tous les droits de la conscience et du bon sens.

On donne le péché originel comme l’explication du mal ; mais lui-même est un mal, le plus grand mal, et il reste toujours à expliquer l’explication. On s’appuie, pour autoriser l’hypothèse du péché originel, sur des analogies empruntées à l’ordre physique ou à l’ordre moral. Voyez, dit-on, dans l’ordre physique, le mal naître du mal, la maladie se transmettre de génération en génération. Voyez, dit-on encore, l’opinion humaine faire descendre la responsabilité, soit en bien, soit en mal, du père aux fils, et l’infamie se perpétuer héréditairement[1]. De ces deux raisons, la première ressemble fort à ce que nous appelons en logique un cercle vicieux ; pour la seconde, c’est purement et simplement un préjugé, et même un préjugé odieux. L’hérédité physique des maladies est certainement un fait ; mais ce fait est lui-même une partie du problème qu’il s’agit de résoudre, à savoir le problème du mal. Cette transmission du mal du père aux enfans est précisément un des scandales qui révoltent le plus le cœur humain, l’un de ceux qui suscitent le plus de doutes, et les doutes les plus amers,

  1. M. Guizot, il faut le dire, a renoncé à ce second argument ; mais il continue à être donné dans les écoles catholiques, on l’enseigne même aux petits enfans !