Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre la philosophie, et voyons maintenant si la théologie chrétienne, plus heureuse que la philosophie, résout les problèmes que celle-ci ne résoudrait pas.


III

Je me représente, je l’avoue, un mode d’apologétique chrétienne différent de celui qu’a choisi M. Guizot. Au lieu d’insister sur l’impuissance scientifique de la philosophie et sur la supériorité des explications chrétiennes, je comprendrais que l’on fît valoir surtout l’efficacité pratique du christianisme. C’est par là que le christianisme peut trouver encore un large et sûr accès dans beaucoup d’âmes. En montrant et surtout en faisant sentir vivement la consolation que la religion apporte à l’âme dans les chagrins, la force qu’elle lui prête dans le combat des passions, on se placerait, je crois, sur un terrain inexpugnable, sur le terrain de l’expérience intérieure, où chacun est seul juge de ce qu’il éprouve. Comment contester ses consolations à qui se sent consolé, le sentiment de sa force à celui qui l’a éprouvée ? Contre cette expérience, quelle objection peut prévaloir ? Le meilleur médecin est celui qui guérit. Ce n’est pas pour des raisons spéculatives et en croyant à la médecine comme science que les hommes s’adressent à elle ; c’est par un instinct irrésistible qui, dans les maux de ceux qui nous sont chers et dans les nôtres, nous pousse à chercher des secours. Pourquoi dans les maux de l’âme, dans la douleur, dans la passion, n’aurions-nous pas recours au médecin ? La preuve spéculative ne peut pas être donnée, il est vrai ; mais elle est inutile. S’il est permis de comparer le sacré au profane, et les mystiques l’ont fait souvent, celui qui croit à la fidélité de la femme aimée n’y croit pas sur un fondement scientifique ; non, sans doute : il croit, et tout est dit. Le cœur a des raisons que la raison ne comprend pas. Que faut-il donc pour prouver le christianisme de cette manière ? Il faut une âme chrétienne parlant à des âmes chrétiennes. Tant qu’il y aura des âmes chrétiennes, il y aura un christianisme, et les preuves, si faibles qu’elles puissent être, seront toujours assez fortes. Quand il n’y aura plus d’âmes chrétiennes, il n’y aura plus de christianisme, et les preuves, si fortes qu’elles soient, seront toujours trop faibles. Enfin le christianisme ainsi compris inspirera le respect à tous ses adversaires. Qui donc en effet aurait le courage, au nom d’un intérêt abstrait de la raison, d’arracher sciemment à l’un de ses semblables sa consolation dans ses misères, son arme dans la bataille de la vie ?

Ce n’est point par ce côté que M. Guizot a cru devoir défendre