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conséquent un signe de vérité. Si maintenant vous affirmez l’incontestable supériorité du christianisme, sur toutes les autres religions, vous n’aurez d’abord rien prouvé ; supériorité ne signifie pas vérité absolue. La religion des Turcs est supérieure à celle des nègres ; ce n’est pas cependant la vraie religion. En outre cette supériorité ne peut être prouvée que par des argumens historiques et philosophiques du même ordre que ceux que l’on a déclarés impuissans quand ils sont employés par les philosophes. Enfin, il est vrai, la religion est surnaturelle ; mais les preuves de la religion ou, si vous voulez, les preuves de ces preuves n’ont aucun caractère surnaturel, et sont de même ordre que les preuves philosophiques en général.

En un mot, il n’y a que deux états d’esprit qui donnent la certitude absolue : la foi et la science. D’une part, la certitude de la foi n’est pas incompatible avec l’erreur, comme le prouve l’exemple des fausses religions ; d’autre part, la science n’est pas plus le caractère de la religion que de la philosophie[1]. Or entre la science (au sens strict) et la foi il n’y a que l’opinion. L’apologétique chrétienne ne se fonde donc que sur l’opinion tout aussi bien que l’apologétique philosophique. Entre M. Guizot et les philosophes, il n’y a qu’une question d’opinion. Il a ses opinions comme les philosophes ont les leurs. Les doctrines philosophiques ne le satisfont pas ; mais les philosophes ne sont pas satisfaits davantage par ses propres doctrines. Il n’y a donc pas lieu d’argumenter d’une prétendue impuissance de la philosophie, comme si l’on avait un criterium qui nous manque ; il n’y a pas lieu d’établir entre le philosophe et le croyant une inégalité qui ne se fonde sur aucun titre. L’un et l’autre cherchent, l’un et l’autre se persuadent par des raisons toutes personnelles, l’un et l’autre essaient d’entraîner les hommes en présentant ces raisons sous le meilleur jour possible. Lorsque M. Guizot nous dit : — La philosophie ne résout pas les problèmes, la religion les résout, — nous pourrions tout aussi bien renverser les termes, car la religion résout les problèmes pour les croyans, et la philosophie les résout pour les philosophes. Si l’on demande quelle philosophie ? je puis demander aussi quelle religion ? Et l’on verra que tout revient à cette proposition : chaque opinion résout les problèmes pour celui qui l’adopte ; en d’autres termes, l’on est toujours de sa propre opinion, car, si on ne pensait pas que cette opinion résout les problèmes, on ne l’aurait pas adoptée. Laissons donc de côté cette accusation générale d’impuissance dirigée

  1. La religion, une fois acceptée pour vraie, peut prendre la forme scientifique ; mais il en est de même de toute philosophie.