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faire qu’à laisser là cette science inutile, et à nous rejeter soit dans le positivisme, soit dans la foi ?

M. Guizot affectionne un procédé de discussion qui consiste à pousser son adversaire à l’extrême, en lui reprochant d’être trop timide et de ne pas accepter hardiment toutes les conséquences de sa pensée. J’oserais presque lui faire le même reproche, quoique l’on sache que ce ferme esprit ne pèche point par timidité. Ici, il n’a pas osé dire toute sa pensée : c’est que la philosophie spiritualiste est aussi impuissante que les autres. J’aurais voulu, je l’avoue, le voir aller jusque-là ; j’aurais voulu le voir réfuter les preuves de l’existence de Dieu données dans les écoles spiritualistes, les preuves de la providence données par Socrate et Platon, la justification de la providence dans Leibniz et dans Malebranche, les raisons en faveur de la vie future développées dans le Phédon. Il eût été étrange de voir M. Guizot engager une telle polémique, et jouer, ne fût-ce qu’un moment, le jeu des athées. Cependant non-seulement cela eût été conséquent, mais c’était même nécessaire pour justifier la thèse générale de l’impuissance scientifique et démonstrative de la philosophie ; s’il y a en effet quelque part de bonnes preuves de Dieu, de la providence et de la vie future, pourquoi dire qu’il n’y a pas de science de l’infini ?

Peut-être en disant que la philosophie n’est pas une science, qu’elle n’est pas adéquate à son objet, M. Guizot n’a-t-il voulu dire que ce que nous avouons nous-mêmes les premiers, à savoir que la métaphysique n’a pas la rigueur démonstrative des mathématiques ou de la physique ; ce qui n’empêcherait pas qu’elle ne pût faire valoir en faveur de telle doctrine des raisons solides et considérables, propres à entraîner la conviction. Quelle est donc alors la différence de la philosophie et de la religion ? A quel titre conclure de l’impuissance de la première à la nécessité de la seconde ? Est-ce que l’apologie chrétienne de M. Guizot, si forte qu’elle soit, peut avoir la prétention d’une démonstration scientifique ? est-ce qu’elle est fondée sur autre chose que des raisons, des considérations plus ou moins fortes, plus ou moins plausibles, plus ou moins décisives ? Et s’il se décide en faveur de ces raisons parce qu’elles lui paraissent bonnes, pourquoi ne pourrions-nous pas, avec un droit équivalent, nous décider pour nos propres raisons parce qu’elles nous paraissent également telles ? Que la philosophie soit ou ne soit pas une science, cela ne fait rien à la question, puisque la religion n’est est pas une non plus. Cette objection est bonne pour les positivistes ; elle ne l’est pas pour les chrétiens. La philosophie ne résout pas les problèmes, dites-vous ; mais par la même raison je dirai que la religion ne les résout pas davantage, car