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L’église catholique n’est point une république où l’on recueille les avis des citoyens, et où l’opinion générale se forme par le débat contradictoire des opinions particulières, où l’on peut arriver à persuader le corps tout entier en persuadant successivement chacun de ses membres. Non, les membres de l’église ne sont pas des citoyens : ce sont des sujets. On ne leur demande pas leur avis. Ils n’ont qu’une chose à faire, croire et obéir. L’église catholique est une monarchie, et elle tend de plus en plus à la monarchie absolue. La vérité y vient d’en haut et non d’en bas. Le catholicisme n’est pas à Paris ; il est à Rome. C’est Rome qu’il faut convertir. Or, sur ce terrain, la réconciliation désirée par M. Guizot et par les catholiques les plus clairvoyans, cette réconciliation a-t-elle fait un pas depuis le jour où l’abbé de Lamennais eut cette grande pensée qui pouvait sauver l’église, et où il fut frappé d’une si rude déception ? Rome a-t-elle fait un pas, je ne dis pas vers la tolérance, mais vers l’intelligence des conditions sur lesquelles repose la société européenne ? L’église catholique tolère cette société quand elle y est forcée ; mais elle la tolère, selon l’expression de M. Guizot, comme Moïse tolérait le divorce chez les Juifs, à cause de la dureté de leur cœur. Or la société moderne prétend ne pas être tolérée ainsi. Elle se croit une société juste et vraie, plus juste et plus vraie que la société artificielle du moyen âge. Elle veut non être subie comme un mal, mais acceptée comme la meilleure et la plus raisonnable que les hommes aient encore connue. Qu’elle ait tort ou raison en cela, peu importe ; seulement, comme on ne risque pas beaucoup de se tromper en prophétisant que cette société ne sera pas vaincue, il semble bien que le plus sage serait d’en accepter de bon cœur les conditions nouvelles, au lieu de l’anathématiser et de ne s’y soumettre que comme à une nécessité douloureuse, quand il est tout à fait impossible de faire autrement. Or Rome n’est point jusqu’ici entrée dans cette voie d’accommodement raisonnable, et tant qu’elle n’a point parlé, ou plutôt tant qu’elle parle dans le sens contraire, les plus nobles paroles des plus nobles esprits sont absolument non avenues : aucun d’eux n’a mission pour traiter au nom de l’église[1].

Laissons au reste ces questions, qui sont d’intérêt contemporain, pour aller, avec M. Guizot, au fond des choses. Au-dessus des questions de conduite, de sagesse, je dirai même de politique, il y a quelque chose de plus grave et de plus imposant- : c’est la vérité elle-même. Tout le livre de M. Guizot, avons-nous dit, peut se ramener à trois propositions. Il y a des problèmes naturels,

  1. Les évêques seuls auraient ce droit dans une certaine mesure ; mais l’on sait comment ils sont traités par Rome lorsqu’ils se permettent d’être un peu trop accommodans envers les principes de la révolution.