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l’homme sur la terre, prouve la création. L’universalité de la prière prouve la Providence. L’existence du mal, dont Dieu ne peut pas être responsable, prouve le premier péché. La croyance universelle des religions prouve ou du moins confirme le dogme de l’incarnation, suffisamment établi d’ailleurs par le texte sacré. Enfin la croyance aux vertus du dévoûment volontaire prouve et justifie la rédemption.

Tous ces dogmes ont un caractère commun ; ce sont des vérités surnaturelles, qui sont fondées sur des faits d’un caractère spécial, des faits surnaturels. Le surnaturel est l’intervention immédiate et personnelle de Dieu dans la nature : c’est ce qui excède les forces naturelles. La croyance au surnaturel est universelle : quand on la croit éteinte dans l’esprit des hommes, elle reparaît sous une autre forme. Le surnaturel est l’essence même des religions ; toutes l’invoquent. On objecte les lois de la nature qui seraient immuables ; mais c’est ce qui est en question : elles sont permanentes, non nécessaires. Dieu, qui les a faites, peut les suspendre. Quiconque admet la liberté humaine peut et doit admettre au moins la liberté divine. L’athéisme seul et le panthéisme sont conséquens en niant les miracles. Le spiritualisme, admettant la personnalité divine, n’a pas le même droit. S’il admet en outre, comme il le fait en général, la création immédiate de l’homme et des autres êtres vivans, il accepte par là même implicitement le surnaturel. Quant à cette manière de nier les miracles qui consiste à en contester l’authenticité historique, ce n’est qu’une attaque indirecte et détournée qui implique l’autre. En apparence, c’est la preuve testimoniale que l’on demande ; en réalité, c’est la possibilité même du surnaturel que l’on nie. Ainsi, selon M. Guizot, nier les miracles historiquement, c’est les nier métaphysiquement. Les nier métaphysiquement, c’est nier la liberté divine et entrer à pleines voiles dans le panthéisme et le fatalisme. On voit à quel dilemme M. Guizot réduit ceux d’entre ses adversaires qui veulent être conséquens. Il n’y a pas de milieu pour lui entre le christianisme et l’athéisme.

Tel est, en faisant abstraction de beaucoup de développemens et, par exemple, du bel épisode qui ouvre le second volume sur le réveil chrétien au XIXe siècle, l’ensemble des idées spéculatives qui composent ce que j’appelle la philosophie chrétienne de M. Guizot. C’est l’objet des deux premiers volumes. Le troisième, dont nous ne dirons que deux mots parce qu’il a été tout récemment l’objet d’une étude dans la Revue[1], comprend surtout les questions

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1869, le Christianisme et la Société française, par M. Albert de Broglie.