Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

limitée à l’auteur du péché lui-même, au si elle peut être contagieuse et héréditaire. Voici les raisons que donne M. Guizot, après bien d’autres théologiens, en faveur du péché originel. Tous les peuples ont eu l’idée d’un âge d’or, d’un état primitif de parfaite paix et de parfaite innocence : n’est-ce point là le sentiment secret et comme le souvenir de l’état dans lequel ont été créés nos premiers parens ? La transmission héréditaire des conséquences du péché est un fait qui s’accomplit tous les jours sous nos yeux. Entre l’innocence première et la première faute, il y a un abime dont nul ne peut sonder la profondeur. Qui peut dire quelle révolution profonde la première faute a apportée dans le monde ? On se plaint du péché, originel, mais que l’on pousse donc plus loin l’objection, et que l’on se plaigne du mal en général et de la manière inique dont il est réparti parmi les hommes. Voilà ce qui condamnerait la Providence, si la doctrine du péché originel ne nous autorisait à rejeter la responsabilité de Dieu sur l’homme. Le péché originel n’a rien d’étrange ni d’obscur, car c’est un fait d’expérience. que tous les jours le péché se transmet par contagion.

Le christianisme explique le mal. Donne-t-il le remède ? Ce remède, c’est Dieu fait homme. Les textes théologiques mis à part, voici les raisons de M. Guizot en faveur de l’incarnation. Toutes les religions ont cru à l’incarnation de Dieu dans l’homme[1] : ce n’est pas que toutes ces incarnations soient vraies, mais elles prouvent la tendance de l’humanité à voir et à sentir Dieu en elle. L’homme lui-même n’est-il pas une incarnation divine ? L’incarnation est donc possible. Maintenant, elle est vraie, car la révolution opérée par Jésus-Christ n’est comparable à aucune révolution humaine. Il a changé le monde ; il a régénéré l’âme humaine. En même temps que l’incarnation témoigne de la puissance divine, la rédemption témoigne de la bonté de Dieu. Le péché exige l’expiation ; mais est-il nécessaire que l’expiation soit individuelle ? Dans tous les temps, on a cru à la réversibilité du dévoûment, et souvent des victimes innocentes se sont offertes pour sauver les coupables. Ce sentiment mal entendu a entraîné souvent des conséquences odieuses, les sacrifices humains sont une de ces conséquences ; pourquoi cependant le sacrifice volontaire de l’innocent pour le coupable n’aurait-il pas une vertu qui nous échappe ? La solidarité humaine a ses secrets. C’est sur ce sentiment universel de l’humanité qu’est fondé le grand mystère de la rédemption, Dieu s’étant payé à lui-même par un sacrifice volontaire la rançon du péché des hommes.

Ainsi l’apparition subite de la vie, des espèces animales, de

  1. Il faut en excepter le judaïsme, si je ne me trompe.