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La création est démontrée, suivant M. Guizot, par ce fait capital, que le monde n’a pas toujours été tel qu’il est ; la vie a commencé sur la surface du globe ; les espèces animales ont aussi commencé ; l’homme a commencé également. Or, à moins d’admettre que la vie est le résultat des forces de la matière, et que l’homme, comme toute espèce animale, est le produit d’une lente élaboration des siècles et d’une transformation progressive des êtres, on est obligé d’avoir recours à la puissance surnaturelle du créateur ; mais d’une part la doctrine de la génération spontanée, de l’autre la doctrine de la transformation des espèces, sont des hypothèses arbitraires, repoussées par la science. Donc la création est nécessaire. Sans vouloir mêler ici prématurément la critique à l’exposition, il est impossible cependant de ne pas être frappé de cette imprudence, au moins apparente, qui fait reposer le dogme fondamental de la religion et l’espoir de l’humanité sur des opinions scientifiques. Les deux questions dont parle M. Guizot sont deux questions à l’étude ; ce ne sont pas des questions résolues. Il semble fâcheux qu’une doctrine qui doit résoudre tous les problèmes commence par s’appuyer sur des faits contestés, et qu’après avoir d’abord déclaré que la science est ici absolument impuissante, on fasse maintenant reposer tout l’édifice sur ce qu’il y a de plus controversé dans la science.

La création est donc, selon M. Guizot, démontrée par les faits. Il en est de même de la providence. Ici, le fait, la preuve, c’est la prière. La prière est un fait humain, nécessaire, universel ; mais ce fait est inexplicable dans l’hypothèse d’une providence générale ou abstraite qui se serait contentée de donner des lois générales à l’univers. Non, le besoin de la prière nous prouve une providence paternelle, accessible, vivante, intervenant dans la vie de l’homme comme le père dans la famille. Sans doute il y a des lois générales, mais ces lois ne sont elles-mêmes que la volonté toujours agissante du créateur. Les lois de la nature ne s’imposent pas à la volonté humaine : il y a un domaine où l’homme est maître de ses actes. Dans ce domaine, Dieu agit autrement que dans le monde physique ; il agit par une action toute morale, tout individuelle : voilà l’idée de la Providence chrétienne. Le comment de cette action reste un mystère ; l’action est certaine et répond au besoin de l’âme. Cependant le mal est sur la terre. Comment l’expliquer sans mettre en péril la bonté et la justice de Dieu ? Le chrétien résout ce problème par le dogme du péché originel. M. Guizot ne craint pas de donner à ce dogme son vrai caractère. « C’est, dit-il, l’hérédité de la responsabilité humaine. » Sans doute c’est la liberté qui fait la responsabilité ; sur ce point, pas de débat ; seulement la question est de savoir si la responsabilité est exclusivement personnelle et