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dans un sens ou dans l’autre, et l’on prouve par là même qu’ils sont indestructibles.

Il y a donc des problèmes. Qui les résoudra ? La science s’y applique, mais sans succès ; ce domaine, quoi qu’elle fasse, est en dehors de ses méthodes et au-dessus de sa portée. M. Guizot s’appuie ici sur l’autorité d’un savant théologien anglais dont il accepte pour son compte la doctrine. Les limites du monde fini, pour l’un et pour l’autre, sont les limites de la science. Le monde fini seul, physique et moral, est à la portée de la méthode scientifique. C’est dans ce monde seulement que l’esprit humain se saisit pleinement des faits, les observe dans toute leur étendue et sous toutes leurs faces, en reconnaît les rapports et les lois, qui sont aussi des finis, et en démontre ainsi le système. C’est le travail et la méthode scientifiques, les sciences humaines en sont les résultats, à la vérité l’homme porte en soi-même des notions et des ambitions, qui s’étendent bien au-delà et s’élèvent bien au-dessus du monde fini, les notions et les ambitions de l’infini, de l’idéal, du complet, du parfait, de l’immuable, de l’éternel. Ces notions et ces ambitions sont elles-mêmes des faits que reconnaît l’esprit de l’homme ; mais en les reconnaissant il s’arrête. Elles lui font pressentir, ou, pour parler plus exactement, elles lui révèlent un ordre de choses autre que Les faits et les. lois du monde fini qu’il observe ; mais, s’il a de cet ordre supérieur l’instinct et la perspective, il n’en a pas, il n’en peut pas avoir la science. C’est la sublimité de sa nature que son âme entrevoit l’infini et y aspire, c’est l’infirmité de sa condition actuelle que sa science se renferme dans le monde fini où il vit.

M. Guizot, en déclarant la science impuissante eut dehors des choses finies, proclame par là même l’impuissance de la philosophie ou de la métaphysique, car la métaphysique est précisément la science qui croit pouvoir résoudre les problèmes du monde invisible. Pour prouver cette impuissance, M. Guizot s’appuie, et c’est de bonne, guerre, sur l’aveu de philosophes eux-mêmes, qui reconnaissent que la philosophie est divisée en systèmes éternellement opposés éternellement les mêmes, qu’elle tourne toujours dans le même cercle, sans jamais avancer, variant les expressions et les formes de ses hypothèses mais retombant toujours dans les mêmes hypothèses. Ces systèmes fondamentaux et immortels ont été réduits par M. Cousin à quatre, qui sont le sensualisme et l’idéalisme, le scepticisme et le mysticisme. Pourquoi ces systèmes ont-ils apparu dès les temps les plus anciens et se sont-ils depuis reproduits partout et toujours ? Pourquoi l’esprit humains a-t-il, sur ces questions suprêmes, atteint de si bonne heure à des essais de solution qui l’ont épuisé sans le satisfaire ? Pourquoi la