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qui avaient charmé sa jeunesse. Il avait, pour soutenir sa vie nouvelle, deux sentimens énergiques et également puissans, le souvenir du passé et le besoin d’action. L’un lui dicta ses mémoires, l’autre l’engagea dans la lutte religieuse, si vive aujourd’hui, et où il s’est placé au premier rang dans le camp des orthodoxes. Il a eu le bonheur de pouvoir achever ces deux grandes entreprises, l’histoire de sa vie et son apologie chrétienne.

Les Méditations chrétiennes de M. Guizot ont été à plusieurs reprises l’objet des études de la Revue, à mesure que les différens volumes paraissaient ; mais aujourd’hui que l’ouvrage peut être considéré comme complet, au moins dans sa partie philosophique[1], il sera intéressant de l’étudier dans son ensemble, et il devient plus facile d’en apprécier la portée. Nous voudrions nous livrer à cet examen avec le respect qui est dû à la haute intelligence de l’auteur, mais aussi avec la liberté qui est le devoir de la science et de la pensée.


I

On ne peut nier que M. Guizot ne pose la question chrétienne comme elle doit être posée de nos jours. Il demande au christianisme d’accepter les conditions nouvelles dans lesquelles la société est entrée depuis trois siècles, et qui sont la science libre, la conscience libre, la pensée libre. Il demande que le christianisme ne se contente pas seulement de tolérer ces principes, comme Moïse tolérait le divorce chez les Juifs, à cause de la dureté de leur cœur ; il lui conseille au contraire de les proclamer comme les développemens légitimes de l’Évangile. Il voit avec raison les plus grands périls dans le défi porté par certains actes, certaines paroles, à la société moderne. Cette société en est arrivée à croire à ses principes comme à des articles de foi, et l’on a bien raison de dire qu’elle a aussi son credo. Liberté de conscience et liberté de pensée avec leurs conséquences sont des principes que la société moderne n’examine plus, mais auxquels elle adhère avec une passion incroyable, avec la même passion que les croyans apportent à soutenir leurs symboles. Que l’église se mette en hostilité ouverte avec ces principes, c’est foi contre foi, et l’on sait ce qui résulte d’une guerre de croyances : le fanatisme s’y met de part et d’autre, et des maux incalculables peuvent être la conséquence d’une lutte si imprudemment engagée. La tentation d’une victoire possible peut entraîner

  1. Il y aura un quatrième volume, consacré aux questions de critique et d’exégèse, mais il ne changera rien évidemment à l’ensemble des vues de M. Guizot.