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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


l’abîme où l’église orientale était tombée. D’autres documens arrivés sur ces entrefaites achevèrent de l’éclairer : c’étaient les actes mêmes du conciliabule du Chêne et du concile de Constantinople que lui remirent deux émissaires de Théophile, Pierre, prêtre d’Alexandrie, et Martyrius, diacre constantinopolitain, du parti contraire à l’archevêque. Devant cette lumière soudaine, Innocent recula effrayé. Il vit qu’il ne s’agissait plus pour lui d’une question personnelle telle que le patriarche d’Alexandrie l’avait posée, à savoir si le pape de Rome retirerait ou continuerait sa communion à l’archevêque condamné ; une question plus générale et qui tenait à la discipline de l’église universelle dominait la première. Les deux conciles dont Chrysostome appelant incriminait les décisions semblaient avoir accumulé, comme aveuglés par la passion, les irrégularités et les violences ; leur procédure choquait les plus simples règles de l’équité ; leurs jugemens, rendus sans contradiction et par des ennemis déclarés de l’accusé, choquaient encore plus celles de la conscience, et enfin de grands prélats orientaux y avaient joué un rôle indigne du caractère épiscopal ; pour l’honneur de l’église, les actes de ces conciles devaient être à leur tour jugés. Puis, quelle scandaleuse violation des lois les plus salutaires de la hiérarchie ecclésiastique ! Comment concevoir qu’un évêque, appelé régulièrement à gouverner une église par le libre choix de celle-ci et sous l’invocation du Saint-Esprit, puisse en être dépouillé par un autre évêque envieux, ameutant contre lui des haines jalouses et réunissant en concile, pour la satisfaction de ces haines, des évêques faibles, corrompus, sous la pression de la puissance extérieure ? Et que dire encore quand l’évêque dépouillé était le second du monde chrétien, celui de la nouvelle Rome ? L’impunité de ces faits ouvrirait la porte à des désordres incalculables, ou plutôt l’église constituée, par le Christ et ses apôtres n’existerait plus. Lorsqu’Innocent réfléchissait sur les remèdes applicables à ce mal, il n’en trouvait que dans un concile œcuménique qui annulerait les opérations des deux synodes de Constantinople et du Chêne, et ferait rentrer sous les strictes lois de la discipline l’église orientale dévoyée. Il lui semblait aussi que, dans le cas présent et en ce qui concernait Chrysostome, il fallait exclure du tribunal œcuménique les partisans déclarés de l’archevêque comme aussi ses adversaires déclarés, afin que le procès fût repris à nouveau par des esprits non prévenus et des consciences libres de tout engagement antérieur ; il en excepta pourtant Théophile d’Alexandrie, l’âme de tout le complot et le meneur des deux synodes. En y appelant Chrysostome, il trouvait juste d’y placer en face de lui son ennemi, non comme juge, mais comme accusateur.

Honorius faisait alors dans la ville éternelle un de ces rares et