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cusateurs, l’assemblée synodale, composée de ses adversaires, dirigée par ses ennemis déclarés, son refus constant de reconnaître de tels juges, son appel à un futur concile ; puis sa déposition, qui ne lui avait point été signifiée, non plus que les libelles d’accusation, son enlèvement par des soldats et bientôt son rappel par un notaire de l’empereur, et sa réintégration dans son siége ; enfin la fuite honteuse de Théophile sur une fragile barque, au milieu de la nuit, pour échapper à l’indignation du peuple.

À cet exposé succède celui des événemens accomplis depuis son retour. Théophile est encore ici l’âme d’une nouvelle persécution. Devant un second concile qu’il avait lui-même sollicité pour y présenter sa justification, Chrysostome est accusé non plus des prétendus crimes pour lesquels on l’avait déposé au synode du Chêne, mais d’un fait nouveau et inouï, d’être rentré dans son église sans absolution synodale, et ceci contrairement à certains canons du concile d’Antioche, comme si ce concile n’était pas arien, comme si Chrysostome avait joui de sa liberté dans tous les actes qui s’étaient passés, comme si sa déposition eût été juridique, son exil légitime, sa réintégration opérée par une volonté coupable. La lettre exposait tout cela, et aussi les persécutions exercées contre lui et ses frères par les officiers du palais impérial à l’instigation de certains évêques de Syrie, instrumens et créatures de Théophile. Çà et là éclatent dans ces pages de beaux morceaux d’éloquence qui ne dépareraient point les homélies du grand évêque. Voici, par exemple, de quelle façon il retrace les scènes du samedi saint au baptistère de Sainte-Sophie.

« Comment, hélas ! vous décrire des scènes devant lesquelles pâlirait la tragédie la plus lamentable ? Quelle parole humaine suffirait à les raconter ? quelle oreille humaine les écouterait sans horreur ? Dans la journée du grand sabbat, lorsque déjà le jour inclinait vers le soir, une multitude de soldats envahit la basilique, chasse par la force tout le clergé qui nous entourait. Les sacrés autels sont assiégés, l’épée au poing ; des femmes qui, à l’intérieur de l’église, avaient quitté leurs vêtemens pour recevoir le baptême, sont dispersées et s’enfuient presque nues, frappées d’une épouvante horrible qui leur fait oublier et la pudeur et l’honnêteté de leur sexe. Plusieurs de ces infortunées sont blessées dans le baptistère ; leur sang même rougit les saintes eaux, et les sources salutaires de la régénération des hommes n’offrent plus que la couleur du carnage. Ce n’est pas tout. Les soldats forcent l’enceinte redoutable où les mystères sont cachés, et parmi ces hommes il y avait des païens ; ils peuvent tout regarder, tout voir, et dans le tumulte le sang très sacré du Christ est répandu sur leurs habits. Qu’eût-on fait de plus dans une ville prise d’assaut par des barbares ?… La lettre finissait ainsi : « Que