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pereur lui assignait pour prison son palais épiscopal, avec défense de paraître dans la basilique. Chrysostome obéit ; il y avait là coercition morale, sinon matérielle, et l’évêque céda pour éviter un grand scandale en face du sanctuaire. L’idée d’Arcadius en imaginant ce moyen terme était au moins étrange. Se rappelant le tremblement de terre qui avait suivi immédiatement le premier exil de l’archevêque, il s’était dit : « Ou ce que les évêques me proposent plaît à Dieu ou Dieu le condamne. Si Dieu l’approuve, j’aviserai pour le reste. Si Dieu le condamne, il le fera voir par quelque signe miraculeux, et alors, n’ayant point commis de violences, ayant au contraire gardé Jean tout près de son église, je pourrai l’y réintégrer sans délai afin que tout soit réparé. » Un tel raisonnement était bien puéril, il faut en convenir ; c’est pourtant celui que lui prêtent les historiens : le vieil enfant rusait avec la justice divine.

Le signe ne parut point, et l’empereur se rassura ; mais l’archevêque, qui avait donné un demi-consentement en s’emprisonnant lui-même dans son archevêché, fut pris d’un remords de conscience. La grande semaine pendant laquelle avaient lieu les préparations à la pâque imposait des devoirs particuliers aux évêques, principalement le samedi saint, qui dans l’église primitive était, ainsi que la veille de la Pentecôte, consacré au baptême des catéchumènes. C’était l’évêque qui présidait ordinairement à cette initiation des néophytes à la vie chrétienne après les avoir formés par ses instructions durant toute l’année. Or Chrysostome savait que plus de trois mille catéchumènes devaient se présenter le samedi saint aux piscines de l’église métropolitaine pour y recevoir l’immersion baptismale. À mesure qu’approchait le moment solennel, il s’accusait plus vivement de manquer à un devoir sacré, de déserter la garde de son troupeau, pour lequel le bon pasteur doit donner sa vie, et, afin d’éviter un mal, en assumer sur lui un plus grand peut-être. Il résolut donc, après mûre réflexion, de se trouver le samedi saint dans son église et d’y vaquer aux fonctions épiscopales.

Le samedi saint en effet, dès le matin, l’archevêque, rompant sa captivité, se rendit à la basilique, où des milliers de catéchumènes rangés sous le péristyle attendaient l’heure du baptême. À son approche, les cérémonies liturgiques commencèrent. Ses gardiens, à qui la violence était sévèrement interdite, n’avaient pas osé le retenir malgré lui ; mais ils coururent au palais prévenir les officiers de l’empereur, qui se montra fort troublé. Le respect dû à la paix de ce grand jour semblait lui défendre l’emploi de la force pour assurer son autorité ; il craignait d’ailleurs quelque émotion dans le peuple, qui se pressait vers Sainte-Sophie de tous les points de la ville comme de la campagne. Il manda donc près de lui Antiochus et Acacius, les mit en quelques mots au courant de ce qui