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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


III.

Cependant le carême s’écoulait, « et déjà fleurissait (suivant l’expression du vieux biographe de Chrysostome) le grand jeûne dominical, ce printemps des chrétiens, » car l’année religieuse commençait alors aux octaves de Pâques. Nulle part dans la chrétienté la résurrection du Sauveur, cette fête des fêtes, n’était célébrée plus magnifiquement qu’à Constantinople et dans la métropole de Sainte-Sophie, où l’empereur se rendait en grande pompe avec sa famille et sa cour pour participer aux mystères. C’était un usage qui remontait à la fondation même de la Rome chrétienne, et auquel nul des successeurs de Constantin n’avait dérogé, à l’exception sans doute de Julien. Arcadius s’en était montré toujours fidèle observateur. La pensée de ce qu’il ferait aux prochaines fêtes de Pâques commençait donc à l’inquiéter, et on pouvait soupçonner à sa contenance et à ses propos qu’il méditait quelque secret dessein. La cour en fut alarmée. Poussés par l’impératrice, les évêques de la faction, Antiochus en tête, allèrent le trouver secrètement pour lui parler de Jean. « C’était son devoir, lui dirent-ils, d’écarter de l’église, à l’approche de ces saintes journées, un intrus déposé et excommunié ; l’empereur ne pouvait ni communiquer avec cet homme ni laisser communiquer sa famille et le peuple des fidèles, dont il était responsable. » Ce n’est pas que la sentence du concile fût prononcée ; mais les évêques, d’après la supputation des suffrages dans chaque parti, pensaient pouvoir affirmer que Jean était condamné. Ils l’affirmèrent, et l’empereur les crut. « En effet, ajoute le même historien, n’étaient-ce pas des évêques qui affirmaient ? Or comment soupçonner le mensonge dans la bouche d’un évêque ou d’un prêtre chargé d’enseigner au peuple la parole de vérité ? » Sur ces assurances, Arcadius fit signifier à l’archevêque par un de ses officiers qu’il eût à quitter l’église sur-le-champ. « Je ne puis le faire, répondit Chrysostome avec calme ; j’ai reçu cette église de Dieu même, mon sauveur, pour y prendre soin de son troupeau, je ne la déserterai pas. » Et comme l’officier insistait, il dit encore : « Si l’empereur le veut, qu’il me fasse sortir de force, car la ville lui appartient. La violence sera mon excuse auprès de Dieu ; mais jamais je ne partirai d’ici volontairement. »

La réponse était nette, et on connaissait le caractère inflexible de Chrysostome ; l’officier alla la reporter à l’empereur. Il ne restait qu’un seul moyen, indiqué par l’archevêque lui-même, le faire prendre et chasser par des soldats. Arcadius n’en eut pas le courage ; mais un moyen terme s’offrit à son esprit agité de mille perplexités. Il renvoya l’officier déclarer à l’archevêque que l’em-