Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
REVUE DES DEUX MONDES.


plices : ainsi l’enfer dont Dieu nous menace est au-dessous du crime de ceux qui égorgent Jésus-Christ et le mettent en pièces par le schisme qu’ils introduisent dans l’église, car l’église est son corps et ses membres. » — Et il ajoutait : « S’il y a quelqu’un dans cette assemblée qui veuille me nuire, qui me souhaite du mal et ne se sépare de l’église que par vengeance contre moi, je lui apprendrai un moyen excellent de m’offenser sans se faire tort à lui-même, ou du moins, s’il n’est pas possible de se venger sans perdre son âme, je lui indiquerai un moyen moins préjudiciable pour son salut que celui dont beaucoup de gens se servent maintenant. Ce moyen, le voici : que quelqu’un de vous ose le prendre, qu’il se lève et s’approche de moi, qu’il me soufflette, qu’il me crache au visage publiquement, devant tout le monde, qu’il couvre mon corps de plaies, tant qu’il lui plaira !… Quoi ! femmes, vous frémissez quand je vous dis : donnez-moi des soufflets, et vous ne frémissez pas quand vous souffletez Jésus-Christ !… Vous déchirez les membres de votre Sauveur et vous ne tremblez pas !… Ne prenez point pour raillerie ce que je vais vous dire ; mais voyez dans mes paroles l’expression sincère de ma pensée : oui, je voudrais que tous ceux qui ont quelque aigreur contre moi et qui se font tort par cette aversion en se séparant de l’église à cause du pasteur, je voudrais qu’ils vinssent là me frapper au visage, me couvrir d’ignominies, décharger sur moi toutes leurs colères, soit que je l’aie mérité ou non, plutôt que de se conduire comme ils font. Il n’y aurait rien d’étrange en effet qu’un homme de néant, un malheureux pécheur comme je suis, fût traité de la sorte, et moi-même, sous le coup de vos mauvais traitemens, rassasié de vos affronts, je prierais Dieu pour vous, et Dieu vous pardonnerait, non pas que je me flatte d’avoir autant de crédit près de lui, mais parce qu’un homme injurié, battu, bafoué, peut prier avec confiance pour ses ennemis, et espérer le pardon de ceux qui l’offensent. L’Évangile lui-même nous le conseille, nous le prescrit, et l’Évangile ne peut nous tromper. Si, moi qui ne suis rien, je pouvais douter que ma voix misérable pût être entendue, j’invoquerais des saints, je les prierais, je les supplierais d’intercéder pour mes bourreaux auprès de Dieu, et, j’en suis sûr, Dieu leur accorderait ce qu’ils auraient demandé ; mais quand vous offensez Dieu, Dieu lui-même, à qui voulez-vous que je m’adresse ? »

En l’absence de ce monde élégant auquel il destinait ces admirables paroles, elles descendaient brûlantes sur la foule de peuple qui ne cessait de l’entourer, et l’agitation était partout.