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prêtre, il est excommunié, et nous ne pouvons ni entendre sa défense, ni communiquer avec lui, sans encourir nous-mêmes la peine de l’excommunication : ainsi le veulent les canons que je viens de lire. — Notre marche dès lors est tracée : nous n’avons plus rien à faire dans ce procès que d’invoquer le secours de la puissance séculière pour mettre fin à une usurpation qui trouble et déshonore l’église ; ainsi le prescrivent les mêmes canons. »

Tel était le plan d’attaque suggéré par le patriarche d’Alexandrie, plan vraiment diabolique, car, si ce système prévalait dans le concile, Chrysostome, par son ardeur même à vouloir démontrer son innocence, avait creusé l’abîme où il allait périr. En se déclarant incompétent pour réviser le procès du Chêne, dont la révision d’ailleurs était entourée d’impossibilités, le concile confirmait purement et simplement la condamnation, il y ajoutait même une pénalité considérable ; de simple évêque déposé, Jean devenait un excommunié à qui il était interdit de réclamer son absolution. Théophile, il faut en convenir, s’était montré là digne de lui-même ; jamais l’esprit du mal n’avait déployé plus de perversité dans la haine.

En entendant la lecture de ces canons ainsi appliqués à la cause de Jean, le concile, à l’exception des initiés, fut frappé d’une véritable stupeur. La plupart des évêques les ignoraient, parce qu’ils n’étaient point entrés dans le corps des lois ecclésiastiques, tel qu’il se composait au IVe siècle, et on en verra bientôt la raison ; les autres ne les connaissaient qu’à titre de documens historiques, vaguement et en dehors de toute pratique, car on ne les appliquait point. Ils ne se trouvaient même pas généralement dans les archives des églises, les actes du concile d’Antioche ayant été presque aussitôt après la promulgation rescindés par un autre concile, celui de Sardique ; mais Théophile avait pu se les procurer aisément dans le trésor de l’église d’Alexandrie : ils concernaient en effet le plus glorieux de ses prédécesseurs sur ce trône patriarcal, le grand Athanase, l’oracle du concile de Nicée et l’éloquent théologien de la consubstantialité. Nous entrerons ici dans quelques détails pour bien faire comprendre ce que c’était que ces canons d’Antioche, dans quelles circonstances ils étaient nés, et quelle pouvait en être la valeur quand on prétendait les appliquer à Jean Chrysostome.

Athanase, persécuté sans relâche par les adversaires de sa doctrine, banni par des princes trompés ou ariens eux-mêmes, avait trouvé un appui constant dans l’église occidentale. Quoique déposé canoniquement en Orient, il avait pu communiquer avec les évêques d’Italie, qui l’avaient traité en évêque. Pour enlever à l’opprimé ce dernier recours, le chef du parti arien, Eusèbe de Nicomédie, passé en 340 au siége de Constantinople, obtint de l’empereur