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haut de sa chaire, il tonna contre ceux qui prenaient part à ces jeux sacriléges, contre le préfet qui les ordonnait, contre celle en l’honneur de laquelle on les célébrait, et qui dans son orgueil faisait profaner le lieu saint par des cris impurs comme pour se mettre au-dessus de Dieu même. Son discours ne fut pas recueilli ; mais l’histoire énonce que jamais sa parole n’avait été plus incisive et plus amère, que les allusions aux femmes impies de l’Ancien et du Nouveau-Testament furent prodiguées dans cette improvisation sans ménagement ni voile, et qu’il y fut encore question de la courtisane Hérodiade et de saint Jean-Baptiste. On eût dit que Chrysostome cette fois s’attachait à combler la mesure. Le soir, toute la ville fut en rumeur. L’impératrice courut au palais demander vengeance ; l’empereur lui-même, profondément offensé, déclara qu’il fallait en finir avec ce factieux.

Il y avait deux mois que Chrysostome était rentré dans Constantinople, quand cette seconde guerre éclata, avec non moins de violence que la première. Les Marsa, les Castricia et Eugraphia, « la double folle, » comme la qualifie un historien ecclésiastique contemporain, reprirent possession de l’impératrice pour l’exciter encore ; Sévérien, Antiochus, Acacius, accourus de leurs diocèses, redevinrent avec beaucoup d’autres, soit clercs soit laïques, les conseillers d’un nouveau complot contre la paix de l’église. Le même historien les appelle une cohorte ivre de fureur, tant ils se montrèrent animés à la perte de Chrysostome. Ceux d’entre eux qui n’estimaient qu’une solution prompte émirent le vœu que l’archevêque fût livré aux tribunaux séculiers sous l’accusation de lèse-majesté. « N’avait-il point par d’odieuses paroles outragé l’impératrice au milieu des fêtes que le peuple et le sénat lui décernaient, et provoqué la populace à la révolte, acte qui constituait le crime de lèse-majesté tel qu’il était déterminé par les lois de l’empire ? Ce crime d’ailleurs n’exigeait dans la circonstance ni enquête ni débat juridique : il avait été commis publiquement, dans l’église métropolitaine, au milieu des solennités d’une fête ; la condamnation ne pourrait donc être douteuse. » De plus prudens répondaient qu’il fallait craindre les manœuvres de cet homme qui disposait de la populace, et ne point compromettre les noms de l’empereur et de l’impératrice dans un procès dont l’issue devait être la mort. Un des conseillers, Sévérien peut-être, fit alors cette proposition, à laquelle tout le monde se rendit : « Jean assiége depuis deux mois les oreilles du prince pour lui arracher la convocation d’un concile qui, réformant les décrets du Chêne, l’absolve lui-même et condamne ses juges. Eh bien ! que le prince lui accorde ce concile pour le tourner à sa confusion, ce qui ne sera pas difficile, vu le nouveau crime qu’il vient de commettre et qui soulève contre lui l’indignation