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Vis-à-vis du portail de Sainte-Sophie, à l’extrémité des façades latérales de la place, s’ouvrait une large voie qui communiquait à l’est avec le quartier du Bosphore, à l’ouest avec les Thermes de Constance, et formait une des rues les plus fréquentées de Constantinople. Au milieu de la place s’étendait un terre-plein dallé de marbres de diverses couleurs ; il contenait la tribune aux harangues, d’où l’empereur et ses représentans adressaient leurs allocutions au sénat, au peuple et à l’armée. C’est en ce lieu que fut érigée la statue d’Augusta, sur une colonne de porphyre qu’exhaussait encore un grand piédestal ; elle était d’argent massif. Représentée en costume impérial, dans l’attitude du commandement, Eudoxie dominait de là l’église, le palais, la ville, et semblait l’âme des délibérations du sénat.

Cette grande Curie, à l’opposite de laquelle l’empereur Constance avait fondé la basilique de Sainte-Sophie, était une œuvre de son père Constantin, qui en avait fait un temple païen. Construite à l’instar du Capitole de Rome, où se réunissait dans les occasions importantes le sénat de l’empire occidental, la grande Curie byzantine, destinée au même usage, avait été mise par le fondateur sous le patronage des mêmes dieux, Jupiter et Minerve, et, comme le Jupiter Capitolin était la plus vénérée des divinités de l’Occident, Constantin avait choisi pour son capitole grec le Jupiter de Dodone, qu’entourait en Orient une non moindre vénération. Il avait fait amener aussi d’une ville d’Asie nommée Lindus une statue de Minerve consacrée jadis par des rites mystérieux ; et dont le culte était répandu dans toute l’Asie-Mineure. Les deux simulacres furent placés à l’entrée de la Curie, comme les gardiens de la grandeur du nouvel empire. Sous les portiques figuraient en outre, rangées par ordre, avec leurs attributs divers, le chœur des muses enlevé aux sanctuaires de l’Hélicon, de sorte que la grande Curie de Constantinople, enrichie de tant de profanations païennes, était devenue un temple véritable que sanctifiait la présence des premières divinités de la Grèce. L’édifice lui-même, bâti ou revêtu de marbres précieux, décoré de colonnes monolithes, de frises, de statues où les principales villes de l’Orient pouvaient reconnaître la dépouille de leurs temples, présentait aux amis des arts comme à ceux de la vieille religion hellénique un ensemble d’objets sacrés dont ils n’approchaient qu’avec admiration ou respect. Singulier hasard qui avait rapproché les deux monumens les plus magnifiques des cultes païen et chrétien, comme pour les confondre dans une ruine commune !

L’inauguration des statues des empereurs se faisait d’après un cérémonial traditionnel où le paganisme avait laissé sa forte empreinte. La raison d’état maintint sous les princes chrétiens ces